[Dossier autoconsommation] Dans le BtoB, le modèle économique évolue

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Sur le parking de l’hôpital de Wissembourg, c’est à peine si les visiteurs pressés lèvent le regard vers l’ombrière solaire qui les protège de la bruine intermittente qui tombe ce jour-là sur l’Alsace. Depuis juin 2024, les panneaux photovoltaïques d’une capacité totale de 540 kWc, qui couvrent les 160 places de stationnement, font quasiment partie du paysage. « Le projet s’est engagé il y a quatre ans, se souvient Sylvain Grob, directeur-adjoint travaux, maintenance et sécurité de la Coopération hospitalière Nord Alsace (CHNA) qui fédère les hôpitaux de Haguenau, Wissembourg et Bischwiller, trois communes situées près de la frontière allemande. A l’époque, les préoccupations n’étaient pas encore la réglementation ou les prix de l’électricité, qui bien qu’en hausse, n’avaient pas atteint les niveaux de la crise énergétique de 2021. Notre principale motivation était alors de diversifier nos approvisionnements en énergie ».

En moyenne, la centrale solaire devrait ainsi couvrir 25 % des besoins électriques du bâtiment qui s’élève à 2300 MWh par an. « Le pic journalier de consommation se situe autour de midi quand le personnel de la cuisine, équipée de fours électriques, réchauffe les repas, indique Jean-Yves Logel, responsable services techniques, maintenance et sécurité du centre hospitalier de Wissembourg. L’été, lors des belles journées ensoleillées, la production couvre plus de 100 % de ces besoins et nous n’avons plus besoin de tirer l’électricité du réseau ».

« Notre principale motivation était alors de diversifier nos approvisionnements en énergie », Sylvain Grob, directeur-adjoint travaux, maintenance et sécurité de la Coopération hospitalière Nord Alsace (CHNA)

Une recherche d’autonomie énergétique qui répond à l’augmentation des besoins des établissements de santé. Ils nécessitent effectivement davantage d’énergie, en particulier pour la climatisation, en raison des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes. Selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), les 6 000 établissements sanitaires publics et privés et 30 000 établissements médico-sociaux concentrent 2 % de la demande en énergie du pays. Cela représente 11 % de la demande en énergie du secteur tertiaire. Or, la plupart tombe sous le coup de plusieurs textes de loi. A commencer par le décret du 23 juillet 2019, qui impose à tous les espaces tertiaires de plus de 1 000 m2 de réduire leur consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2030, 50 % d’ici à 2040, et 60 % d’ici à 2050. « Pour y parvenir, outre le photovoltaïque, l’un des axes de développement est l’équipement en pompes à chaleur ou la connexion des bâtiments au réseau de chaleur urbain », complète Jean-Yves Logel.

Jusqu’à 40 000 euros d’amende

Les hôpitaux, à l’instar des entreprises industrielles et du tertiaire, sont également soumis à la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite loi APER) qui prévoit l’obligation, avant 2028, d’installer des ombrières photovoltaïques sur les parkings de plus de 1 500 m² sur au moins la moitié de la surface de l’aire de stationnement. En cas de non-respect, des amendes allant de 20 000 à 40 000 euros par an peuvent être réclamées, jusqu’à la mise en conformité.

De fait, « par semaine, je reçois désormais jusqu’à cinq appels d’établissements de santé », témoigne Clément Famié, responsable du photovoltaïque à la Direction Bâtiments bas carbone de Idex, entreprise spécialisée dans l’accompagnement en BtoB de solutions énergétiques locales et décarbonées, que ce soit en ombrières, en toiture ou au sol. Pour les hôpitaux comme pour ses clients industriels, la demande est aussi alimentée par les prix de l’électricité, surtout depuis le déclenchement de la crise énergétique. « Bien que les prix aient baissé, nos clients ont pris conscience de leur volatilité et cherchent désormais à sécuriser une partie de leur approvisionnement en optant pour l’autoproduction solaire », affirme Clément Famié.

« Par semaine, je reçois jusqu’à cinq appels d’établissements de santé », Clément Famié, responsable du photovoltaïque à la Direction Bâtiments bas carbone de Idex

Pour solariser l’hôpital de Wissembourg, la Coopération hospitalière Nord Alsace a justement fait le choix de confier les rênes à Idex dans le rôle du tiers investisseur : il s’est occupé de tout, du financement, à l’exploitation, en passant par la construction et la maintenance. « Nous leur avons dit : “Nous n’avons pas un euro à investir dans cette opération” », raconte Sylvain Grob. L’hôpital de 203 chambres dispose en effet d’une capacité d’investissement limitée, de 1,5 million d’euros par an, essentiellement ciblée vers l’achat d’équipements médicaux. Impossible donc d’en mobiliser une partie dans l’achat d’ombrières solaires et d’attendre un retour sur investissement sur plusieurs années.

En contrepartie de l’investissement, dont le montant exact reste confidentiel, l’hôpital verse à Idex un loyer de 90 000 euros par an. Il restera globalement fixe pendant vingt ans, indépendamment des fluctuations des prix de l’électricité issue du réseau, à l’exception d’une faible indexation annuelle. « L’engagement d’Idex sur la quantité d’électricité solaire produite équivaut à une facture de 110 000 euros annuels, sur la base des tarifs de l’électricité de 2021, note Sylvain Grob. Autrement dit, dès la première année, nous espérons réaliser une économie de 20 à 30 000 euros, sans avoir avancé un centime de Capex ». Un chiffre qui sera certainement amené à croître, avec l’augmentation attendue des prix de l’électricité après la fin progressive des mesures de bouclier tarifaire et la revalorisation de l’accise sur la consommation d’électricité (ex-TICFE).

A contexte différent, solution différente

Pour autant, comme le souligne Sylvain Grob, pas question de faire du tiers investissement une solution universelle. Preuve en est, à Haguenau, l’autre hôpital sous sa gestion, les ombrières PV ont été financées grâce à un investissement direct. Pour ce faire, c’est la société Tryba Energy, filiale dédiée aux énergies renouvelables du menuisier alsacien éponyme, qui a été choisie par appel d’offres public. Avec son partenaire Gensun, spécialiste de la construction, maintenance et supervision de centrales solaires, revendiquant 375 MWc sous contrat en France, elle a équipé le parking de 600 places, soit 8 500 m2 de surface au sol, de 6 500 m2 de modules solaires pour une puissance de 2,1 MWc. « Au départ, nous avions toutefois lancé des consultations en tiers investisseur pour les deux hôpitaux, évoque Sylvain Grob. Mais après analyse, il s’est avéré que le financement en propre était plus avantageux pour l’hôpital d’Haguenau. Il faut savoir s’adapter au cas par cas ».

Tout d’abord parce que l’établissement de 650 chambres bénéficie d’une capacité d’investissement bien plus conséquente qu’à Wissembourg, avec environ 10 millions d’euros par an. Il lui était donc possible de supporter un chantier de 3 millions d’euros pour la construction des ombrières. Car de manière générale, le tiers investissement peut susciter des réticences, en particulier en ce qui concerne le partage des bénéfices. « Le tiers investisseur prend sa marge – ce qui est bien normal -, mais cela réduit mathématiquement les gains pour le détenteur du foncier », remarque Sylvain Grob. Par ailleurs, les représentants de la filière solaire, Enerplan en tête, demandent à clarifier le rôle du tiers investisseur dans les opérations d’autoconsommation BtoB individuelle. « Celui-ci n’est pas reconnu dans le contrat de raccordement, ce qui complique son statut et nuit à la dynamique du secteur, notait Laetitia Brottier, Vice-présidente d’Enerplan et cofondatrice de l’entreprise Dualsun lors de la dernière Université de l’autoconsommation photovoltaïque en septembre à Paris. Considérer le tiers investisseur comme signataire de l’obligation d’achat (OA) et du contrat de raccordement pourrait constituer un important levier ».

Dans le cadre de sa politique de neutralité carbone pour ses propres opérations, sa filiale française installée à Fegersheim (Alsace) s’est dotée en octobre 2022 d’une ombrière photovoltaïque de 4,2 MWc en autoconsommation.

Image : Lilly

Enfin, la question de l’engagement du foncier sur le très long terme, via un bail emphytéotique, est au cœur des réflexions. De fait, nombreuses sont les entreprises qui hésitent à céder les surfaces proches de leurs bâtiments en tiers investissement, par crainte de perdre la possibilité d’étendre leurs installations en cas de besoin. C’est d’ailleurs l’un des arguments avancés par la grande distribution. Si la fédération Perifem, qui défend les intérêts de 80 % des acteurs de la grande distribution dont Auchan, Carrefour, E. Leclerc, Lidl et Intermarché, estime à 12 milliards d’euros d’investissement la solarisation des parcs de stationnements de ses membres visés par la loi APER, beaucoup sont partagées sur le modèle de tiers investissement pour « conserver la propriété unique de leurs parkings ». « Ces actifs sont devenus des zones stratégiques – d’autant plus depuis l’adoption du principe de Zéro artificialisation nette (ZAN) – puisqu’ils peuvent être convertis par exemple en logements, en bâtiments supplémentaires ou en parkings verticaux », indiquait ainsi Franck Charton, délégué général de Perifem, dans un article de pv magazine France datant d’avril 2024.

Un raisonnement que Idex connaît bien et que la société tente de contourner en offrant des conditions plus flexibles. « Nous pouvons proposer des contrats plus courts, de dix ans par exemple. En contrepartie, le loyer sera plus important », justifie Clément Famié. Autre avantage : sur le plan juridique, ce type de contrat est considéré comme « déconsolidant » (car il n’apparaît pas de dette comptable dans le bilan de l’entreprise) dans la mesure où il ne constitue pas une charge mais une économie d’énergie.

« Avant de se pencher sur le modèle économique, il est aussi essentiel de considérer les compétences techniques en interne, reprend à son tour Sylvain Grob. Par exemple, sur Haguenau, notre équipe composée entre autres d’un ingénieur électricien peut s’occuper du contrôle et de la maintenance de la centrale. Ce n’était pas le cas à Wissembourg ». Un point sur lequel Clément Famié acquiesce naturellement : « les premiers retours d’expérience montrent qu’il peut être difficile pour un acteur C&I (commercial et industriel) de trouver des opérateurs prêts à prendre en charge la maintenance d’une installation photovoltaïque qu’ils n’ont pas eux-mêmes réalisée », assure-t-il.

L’injection du surplus, peu rentable pour les établissements de santé

Les hôpitaux de Wissembourg et de Haguenau ont tous deux opté pour de l’autoconsommation totale, sans injection du surplus sur le réseau. Ce qui suppose un bridage des ombrières via les onduleurs, en dépit du fait qu’elles peuvent produire, dans des conditions idéales, jusqu’au double de la consommation des bâtiments. « Autrement, il nous faudrait obtenir un agrément de producteur d’électricité, ce qui est juridiquement compliqué pour un établissement de santé », concède Sylvain Grob. De plus, les périodes où la revente du surplus serait possible auraient majoritairement lieu l’été et en milieu de journée, coïncidant avec le moment où l’électricité est la moins chère. « Les frais fixes, pour l’achat d’équipements au niveau du raccordement et du comptage, seraient plus importants que la valorisation en elle-même », calcule Sylvain Grob. Pour autant, l’hôpital de Haguenau ne ferme pas totalement la porte et dit y réfléchir pour l’avenir.

Il serait donc erroné d’en conclure que le tiers investissement est réservé aux acteurs ayant une faible réserve financière. Le géant pharmaceutique américain Lilly en est le parfait exemple. Dans le cadre de sa politique de neutralité carbone pour ses propres opérations, sa filiale française installée à Fegersheim (Alsace) s’est dotée en octobre 2022 d’une ombrière photovoltaïque de 4,2 MWc en autoconsommation. D’une superficie de 20 000 m², elle couvre en moyenne lissée sur l’année 11,5 % des besoins de l’usine spécialisée dans les traitements injectables, en particulier dans le diabète. Un ratio pouvant monter à 70 % lors des pics de production pendant les journées ensoleillées, le reste provenant de son fournisseur d’énergie verte. « La quasi-totalité des 1 600 places de parking sont couvertes par les ombrières équipées de panneaux PV, ce qui nous place en conformité avec la loi d’accélération des énergies renouvelables, relève Christophe Schubnel, son directeur Énergie. Néanmoins, nous allons étudier en 2025 la possibilité d’augmenter cette puissance avec 1 MWc supplémentaire au sol ».

L’investissement s’est élevé à 6,25 millions d’euros, dont la grande majorité (6 millions d’euros) est financée par un leasing sur 15 ans conclu avec EDF, déjà fournisseur d’électricité, qui tient compte de l’investissement (infrastructure, panneaux photovoltaïques, onduleurs…) ainsi que des coûts de maintenance. L’investissement restant à charge de Lilly s’est élevé à 250 000 € pour l’installation d’une liaison entre l’entrée du site et la centrale photovoltaïque. « EDF s’est occupé du développement, de la coordination des activités de construction, de la mise en production et de la maintenance de notre parc photovoltaïque. Il en assure aussi un suivi de la performance depuis un centre de contrôle situé à Nancy qui nous tient informés des dysfonctionnements éventuels », précise Christophe Schubnel, qui indique que Lilly peut ainsi se concentrer sur son cœur de métier.

Pendant toute la durée du leasing, le LCOE (Coût actualisé de l’énergie) se chiffre à environ 100€/MWh, « soit un montant très comparable au coût d’achat d’électricité verte sur le marché », ajoute Christophe Schubnel. À l’issue de cette période d’amortissement, il ne restera plus que les coûts de la maintenance et d’obsolescence du matériel ce qui fera mécaniquement chuter le prix de l’électricité : une solution que Lilly qualifie de gagnante-gagnante.

Edition spéciale de pv magazine France

Cet article est tiré de l’édition spéciale de pv magazine France éditée pour Energaïa en décembre 2024 et à retrouver ici.

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