pv magazine France : On parle beaucoup d’hydrogène vert en ce moment, mais où en sont les projets concrètement ?
Sébastien Zimmer : Effectivement, il y a beaucoup d’annonces, mais nous sommes encore dans une phase très précoce : moins de 10 % de la capacité totale annoncée, soit 471 projets, ont confirmé leur décision d’investissement. De fait, on voit dans ce ratio que ce sont surtout ceux de taille modeste qui sont les plus avancés aujourd’hui.
Au total, nous avons identifié que les projets de production existants et prévus représentent une capacité de 52,6 millions de tonnes d’hydrogène par an. Parmi eux, seuls six ont une capacité supérieure à un million de tonnes par an. Ils sont tous situés hors de l’Union européenne et visent principalement à exporter leur production vers l’Europe ou l’Asie. Citons par exemple le projet Magallanes au Chili, porté par TotalEnergies pour une capacité de 1,4 million de tonnes, ou encore le projet Nour en Mauritanie, qui est prévu pour 2030 pour une capacité de 1,2 million de tonnes.
Quels sont les usages envisagés aujourd’hui ? Y a-t-il un marché pour cet hydrogène vert ?
Haithem Choukatli : C’est la demande et les niveaux des coûts de production qui vont structurer le marché. En effet, selon nos estimations, un électrolyseur raccordé réseau en Europe produit un hydrogène à environ 5 euros/kg. Ce même électrolyseur directement alimenté à une centrale hybride solaire-éolienne produit un hydrogène autour de 6 à 7 euros/kg du fait que le facteur de charge n’excède pas 30 %. Ce prix est intéressant uniquement pour le marché des carburants synthétiques dans l’aérien avec le carburant d’aviation électro-durable (e-SAF) et dans le transport maritime avec le e-méthanol. Ces carburants sont fabriqués en combinant de l’hydrogène vert et du dioxyde de carbone (CO2) puis mélangés au kérozène traditionnel. Or, selon le règlement européen ReFuel EU, le taux d’incorporation de e-SAF devrait passe de 1 % en 2030 à 35 % en 2050. Par conséquent, les e-SAF et l’e-méthanol seront les principaux moteurs de la demande d’H2 en Europe, représentant environ 30% de la consommation prévue d’ici 2040.
En revanche, pour les autres applications, les prix de l’hydrogène sont encore beaucoup trop prohibitifs. Dans l’acier, il faudrait qu’ils atteignent environ 3,8 euros/kg pour être compétitif, 1,3 euro/kg dans la chimie. Enfin, dans le transport routier, en remplacement du diesel pour les poids lourds, nous ne voyons pas de marché avant 2030 en raison du coût d’acquisition très élevé des camions à hydrogène. L’autre inconnue sur la taille du futur marché est donc de savoir si des subventions nationales seront envisagées.
D’où le besoin d’hydrogène importé, beaucoup moins cher ?
Sébastien Zimmer : Avec un facteur de charge allant jusqu’à 80 %, un électrolyseur raccordé à une centrale solaire + éolienne en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient (MENA) pourrait atteindre un prix de 3 à 3,5 euros du kilogramme. Si l’on ajoute le transport sous forme de LOHC ou d’ammoniac par bateau (2 à 2,5 euros/kg), on arrive à des prix un peu inférieurs à une production en Europe. Toutefois, par pipeline (hydrogénoduc), le coût final est nettement plus intéressant, autour de 3,5 à 4 euros/kg. De fait, plusieurs pays proches de l’Europe (Maroc, Tunisie) se positionnent dès aujourd’hui comme pays exportateurs.
Partenariat entre l’Allemagne et l’Egypte
L’Allemagne par exemple, qui envisage en effet d’importer 50 à 70 % de ses besoins en 2030, l’a bien compris et multiplie les partenariats d’importation avec des pays (voir encadré ci-dessus). De manière générale, notre voisin est très en avance dans la construction de toute la chaîne de valeur. Dès 2022, 4,7 milliards d’euros ont ainsi été alloués à un modèle de double enchères pour garantie d’importants volumes d’importations à des prix compétitifs via H2Global.
Qu’en est-il de la France ?
Haithem Choukatli : nous avons l’impression que la France, moins avancée, n’a pas encore pris la mesure de l’enjeu de l’hydrogène vert. Très peu de projets d’importation sont portés par les pouvoirs publics, ils le sont plutôt par des acteurs privés qui essaient de pousser le sujet. On l’a vu récemment avec l’entreprise TE H2, joint-venture formée par TotalEnergies (80 %) et le groupe italien Eren (20 %), qui a signé un accord avec la Tunisie pour étudier la mise en œuvre du projet « H2 Notos ».
Ce qui est très étonnant, c’est que la France avait bien compris dans les années 1960 tout l’intérêt de devenir un pays transit en Europe pour le gaz et a construit des infrastructures de transport allant dans le sens Nord-Sud. Pourquoi ne pas aujourd’hui construire un réseau H2 dans l’autre sens ?
En Europe, on voit bien que certains pays se positionnent déjà : avec la construction du pipeline “SoutH2-Corridor” sur 3 300 km, l’Italie et l’Autriche seront des zones de transit entre la Tunisie productrice et l’Allemagne utilisatrice. Le gouvernement allemand soutient quant à lui la construction d’un réseau de pipelines d’hydrogène s’étendant sur 9 700 kilomètres, coûtant 20 milliards d’euros et qui sera relié à ses voisins européens. Le risque de ce retard est donc que la France ne trouve pas sa place dans le futur réseau européen.
Sébastien Zimmer est associé chez Emerton. Il a 23 ans d’expérience dans le secteur de l’énergie, dont dix ans chez Emerton, huit ans au sein de sociétés de l’énergie (BP, Total, Engie, EDF) et cinq ans en tant que responsable des infrastructures gazières en amont à la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Haithem Choukatli est project manager chez Emerton et possède une expertise sur les marchés mondiaux du gaz, du GNL ainsi que sur les marchés émergents de l’hydrogène et du CO2. Il a également travaillé au sein de la société pétrolière et gazière Eni.
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