Chypre : la crise liée à la limitation de l’injection sur le réseau

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D’après pv magazine international.
Article originalement publié dans l’édition imprimée de pv magazine (juillet-août 2023)

Les données de 2022 et 2023 sur la limitation de l’injection d’énergie renouvelable à Chypre sont très parlantes. L’opérateur du réseau y a limité l’injection d’énergie propre produite de 21 % par jour en moyenne au cours des quatre premiers mois de cette année, ce qui représente une augmentation de 3,35 % par rapport à la même période en 2022.

L’entreprise publique de distribution d’électricité Electricity Authority of Cyprus (EAC) a publié des données sur les limitations d’injection sur les deux années, fournissant des dates, des heures de début et de fin des limitations et le volume total d’énergie produite sur les journées où l’excédent d’énergie n’a pas été injecté. pv magazine a compilé les données d’EAC pour élaborer le graphique ci-dessous, qui présente les limitations de l’énergie produite.

Jusqu’à 70 % de l’énergie propre n’a pas été injectée certains jours entre le 1er janvier et fin avril.

Explication des limitations d’injection

L’expert chypriote en énergies renouvelables Andreas Procopiou a confirmé la validité des chiffres de pv magazine et a tenté d’expliquer les raisons cette l’augmentation des limitations d’injection par rapport à l’année précédente.

« L’essor des installations photovoltaïques, dont la capacité installée est passée de 342 MW à 476 MW entre avril 2022 et avril 2023 est considérable pour un petit pays insulaire comme le nôtre », déclare Andreas Procopiou, qui s’était déjà penché sur les moyens d’accroître la production solaire au Royaume-Uni et en Australie.

« J’ai cherché à expliciter la problématique en représentant les données de l’opérateur du réseau de transport chypriote. Ce graphique permet de visualiser la contribution des énergies renouvelables à la satisfaction de la demande insulaire mensuelle en énergie », affirme-t-il en faisant référence au graphique ci-dessous.

« On constate que l’énergie solaire a de plus en plus contribué à couvrir les besoins en électricité de l’île durant les premiers mois de 2023, par rapport à l’année précédente. Pourtant, les énergies renouvelables occupent une place relativement faible dans le bouquet énergétique chypriote, de sorte que leur importance ne peut justifier, à elle seule, le recours massif aux limitations de leur injection dans le réseau. »

Selon Andreas Procopiou, ces limitations s’expliquent notamment par le fait que le réseau chypriote actuel est un reflet du passé et du manque d’investissement dans une infrastructure moderne, comme de nouvelles lignes électriques et le stockage d’énergie. « Le gouvernement soutient résolument le gaz naturel liquéfié (GNL) comme solution à moyen terme en vue de réduire les coûts de l’électricité », ajoute-t-il.

« Toutefois, la mise en œuvre de ces projets, qu’ils reposent sur des ressources en GNL domestiques ou importées, ne sera pas effective avant 2028, dans le meilleur des cas. D’ici là, l’Union européenne aura déjà entamé l’abandon progressif du gaz dans la production d’électricité. Au vu de la situation, une baisse significative des coûts paraît improbable. »

« Le gouvernement mise également sur la future ligne destinée à relier les réseaux électriques de la Grèce, de Chypre et d’Israël, une évolution certes très positive, qui stimulera la progression des énergies renouvelables sur notre île. Mais ce projet, baptisé EuroAsia Interconnector, mettra plusieurs années à aboutir, et Chypre doit également apporter des solutions de gestion de l’énergie à l’échelle locale, qui passent notamment par le stockage de l’énergie. »

L’heure est au stockage

« Le stockage d’énergie est un enjeu majeur pour Chypre et les autres îles qui entendent développer les énergies renouvelables, ajoute Andreas Procopiou. Le manque d’interconnexion et la nature imprévisible des sources renouvelables, comme le solaire et l’éolien, posent problème, de sorte que le réseau électrique repose sur une électricité stable, produite à partir de carburants fossiles. Toutefois, le stockage d’énergie peut atténuer l’incertitude de la production d’énergies renouvelables en faisant tampon. Sans stockage d’énergie, Chypre ne sera pas en mesure de déployer tout son potentiel d’énergies renouvelables, et les coûts de l’électricité resteront élevés du fait de la dépendance aux carburants fossiles. »

À ce jour, Chypre ne dispose d’aucune installation de stockage d’énergie de grande envergure. En janvier 2022, le gouvernement a annoncé envisager un appel d’offres pour l’installation de systèmes couplant énergie renouvelable et stockage.

La même année, le ministère chypriote de l’Énergie, du Commerce et de l’Industrie a déclaré avoir élaboré le dispositif de mise en concurrence et l’avoir soumis à l’Union européenne (UE) pour validation. En juin, le ministre chypriote de l’Énergie, Giorgos Papanastasiou, indiquait que le pays avait obtenu un financement pour des systèmes de stockage d’énergie à hauteur de 40 millions d’euros grâce au plan de relance post-Covid de l’UE. Toutefois, il apparaît que cette mise en concurrence n’a plus progressé depuis. Il semblerait que le gouvernement ne soit pas très pressé d’installer cette solution de stockage.

Pendant ce temps, comme le montrent les données récentes, la limitation de l’injection d’énergie renouvelable dans le réseau devient un problème urgent. L’EAC estime que « selon la législation en vigueur relative au transport et à la distribution sur le réseau, l’opérateur du réseau de transport chypriote et/ou l’opérateur du réseau de distribution se réservent le droit de limiter (à tout moment et sans restriction) l’énergie renouvelable injectée dans le réseau de transport ou de distribution, afin de préserver la stabilité et la sécurité de l’exploitation du réseau électrique chypriote. »

Le problème lié à la limitation d’injection pourrait se résorber durant la saison en cours, selon Andreas Procopiou. La production d’énergie solaire augmente considérablement durant l’été, mais la demande aussi, car la climatisation est mise en marche. Ces circonstances pourraient réduire la limitation d’injection d’énergie renouvelable jusqu’en septembre, mais le problème resurgira à l’automne, d’après l’expert en énergie solaire. Les investisseurs en énergie solaire ne reçoivent aucune compensation financière pour l’électricité non injectée, et les limitations importantes de l’injection dans le réseau portent atteinte à la rentabilité de leur activité.

L’impact sur les installations

En janvier, les opérateurs des réseaux de transport et de distribution chypriotes ont adressé une demande conjointe à Natasa Pilides, qui était alors ministre de l’Énergie, pour obtenir l’arrêt immédiat des nouvelles installations à facturation nette des ménages, motivé par un danger imminent pesant sur la stabilité du réseau d’électricité. Natasa Pilides avait refusé, arguant qu’il s’agissait d’une proposition « inacceptable, déraisonnable et irritante » de la part des opérateurs du réseau.

Elle a fait valoir que les installations à facturation nette des ménages étaient un moyen de lutter contre la précarité énergétique et de réduire les lourdes factures d’électricité. Elle a également proposé de prioriser la limitation de l’injection provenant de grands producteurs d’énergie. Son argumentation reposait sur le fait que les grandes centrales d’énergies renouvelables revendent leur électricité à un prix élevé en dégageant des marges substantielles, ce qui leur permettrait de supporter des limitations d’injection.

L’élection du nouveau président, Nikos Christodoulidis, en février dernier, a donné lieu à la formation d’un nouveau gouvernement, au sein duquel Giorgos Papanastasiou s’est vu confier le ministère de l’Énergie. Avant de prendre ses fonctions, ce dernier a fait carrière dans l’industrie des carburants fossiles, dont 26 ans passés chez BP et plus d’une décennie à la tête d’une équipe dont le but était de construire et d’exploiter un terminal de stockage de pétrole à Chypre. Au cours des premiers mois de son mandat, Giorgos Papanastasiou s’est avéré être un fervent défenseur du gaz naturel.

Andreas Procopiou, qui connaît bien l’industrie des énergies renouvelables, souligne que l’île ne manque pas d’experts en énergies renouvelables issus de différentes familles d’énergies. Reste à savoir quels arguments prévaudront sur l’île de l’amour : une dépendance d’un autre âge aux carburants fossiles ou la transition vers un réseau énergétique moderne, intelligent et vert.

Traduction assurée par Anne Akpadji.

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