Si l’agriculture a pu servir d’« alibi » dans le passé à l’installation de panneaux photovoltaïques sur les champs, les convergences entre les deux filières se font aujourd’hui en bien meilleure intelligence. Il faut dire qu’avec les objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), les développeurs solaires recherchent du foncier, de plus en plus difficile à trouver, tandis que les agriculteurs sont souvent en quête de diversification de leurs sources de revenus. Pour que leurs relations sur le long terme se passent en toute confiance, la compréhension des enjeux de chacun reste donc indispensable. C’est pourquoi le Forum Energaïa avait organisé le 17 juin un riche échange entre les représentants du monde agricole et du monde solaire.
En préambule, Blandine Thuel, ingénieur agronome et présidente de Acte Agri Plus qui accompagne les agriculteurs dans la transition écologique, l’a rappelé à plusieurs reprises : la pérennité de l’exploitation agricole doit être mise au centre des réflexions. « La règle est que le projet de culture ou d’élevage doit être viable sur la durée, même sans apport du photovoltaïque, a-t-elle répété. C’est la première chose que nous regardons dans les dossiers d’agrivoltaïsme qui nous arrivent et un sur quatre en moyenne est recalé pour cette raison : le volet agricole n’a pas été suffisamment développé ».
Une fois ce prérequis pris en compte, une chose est sûre : les agriculteurs sont en demande de projets photovoltaïques. Pour des raisons économiques tout d’abord. « Nos producteurs subissent des aléas au niveau de leurs producteurs, en raison des changements climatiques notamment, et le photovoltaïque apporte alors un revenu complémentaire, précis et sécurisé », a plaidé Pascal Chaussec, président de l’Apepha (agriculteurs producteurs d’électricité photovoltaïque associés). La réflexion de l’agriculteur autour d’un projet photovoltaïque se fait alors à l’occasion d’un changement d’atelier, c’est-à-dire lors de la mise en place d’une nouvelle activité sur l’exploitation.
Mettre en place un co-investissement
Rémi Casteras, directeur environnement solaire et éolien en mer de wpd France, a ainsi présenté un cas concret sur lequel son entreprise travaille actuellement. « Nous avons été approchés par un exploitant dans l’Aisne qui fait de la grande culture céréalière et de l’élevage bovin charolais en vente directe, a-t-il précisé. Son exploitation souffre de problèmes de sécheresse et 20 hectares sur 200 sont en jachère longue durée. Il était donc à la recherche d’une diversification ». Pour la mener à bien, l’agriculteur souhaitait mettre en place un nouvel atelier ovin, mais avait des difficultés de trésorerie. « En raison du faible potentiel agricole de ces terres, il nous a paru logique d’accompagner ce projet, a poursuivi Rémi Casteras, dont la société a rejoint l’Apepha en mai 2021. Nous allons donc participer au co-investissement pour refaire une bergerie, aménager la parcelle en eau et clôture et construire un parc PV de 15 à 20 MWc ».
Parmi les projets qu’accompagne Acte Agri Plus se trouvent typiquement de l’élevage (caprin, équin, ovin…), du maraîchage, de l’arboriculture, des plantes médicinales odorantes, de la production de semences… « Nous avons également trois ou quatre sites en expérimentation sur de l’élevage bovin limousin ou charollais, a précisé Blandine Thuel. Nous travaillons donc sur l’adaptation des parcs PV en termes de hauteur et de robustesse… Pour tous ces exemples, l’agrivoltaïsme apporte de bons résultats en termes de réduction du stress thermique et hydrique ».
Car l’argument financier n’est pas le seul à convaincre les agriculteurs : avec l’évolution des techniques, les panneaux photovoltaïques permettent également d’optimiser la production agricole. C’est notamment ce qu’a souligné Antoine Nogier, président directeur général Sun’R. L’entreprise développe des panneaux solaires installés sur des persiennes, la solution Sun’Agri. Grâce à un logiciel piloté par intelligence artificielle, leur orientation peut être contrôlée en fonction de l’ensoleillement et de la température pour répondre aux besoins en eau et en lumière de la plante. Les panneaux PV peuvent également protéger les cultures en cas de gel printanier, de grêle, de canicule, en créant un micro-climat…
« L’agriculture fait déjà l’objet d’un grande nombre de menaces : l’urbanisation, l’artificialisation des sols, le changement climatique, a listé Antoine Nogier. Il n’y a pas assez de surfaces agricoles pour nourrir la planète et le solaire ne peut devenir une nouvelle menace ». Grâce à un meilleur contrôle de l’évapotranspiration, 20 à 30 % d’économies d’eau ont été constatées sur les exploitations tests. La production a aussi augmenté de 10 à 20 %. « Nous avons beaucoup travaillé sur la vigne et notamment la maîtrise des taux de sucre des raisins, qui augmentent en raison du réchauffement climatique et qui rendent les vins de plus en plus alcoolisés, a souligné Antoine Nogier. Nous avons réussi à baisser de 1,2° à 1,5° le degré dans les vins produits à partir des raisins cultivés sous serres photovoltaïques, pour revenir à un degré d’alcool normal ».
Concernant les pertes de rendements PV, dues à l’inclinaison des panneaux à la verticale à certains moments de la journée ou de l’année, Antoine Nogier les estime à 15 à 20 %. « Ce n’est pas vraiment un perte de coût de revient, si on y ajoute les bénéfices agricoles supplémentaires. Il faut regarder le projet dans sa globalité », a-t-il nuancé.
La dérive des loyers exorbitants
Mais pour éviter les dérives, les deux professions doivent aussi rester vigilantes sur les valeurs patrimoniales. « Certains investisseurs proposent des loyers vraiment très élevés, ce qui déstabilise tout le marché, observe Pascal Chaussec. On se retrouve aussi dans des situations où le revenu agricole est inférieur à celui de la production d’électricité ». Ce qui crée une nouvelle concurrence entre agriculteurs. « Nous avons calculé que pour atteindre les objectifs de la PPE, il faudrait installer un moyenne de 80 kWc chez chaque agriculteur, a chiffré Antoine Nogier. Pour répondre aux objectifs de la transition énergétique, il faudrait installer en moyenne 400 kWc. Car avec des unités de 20 MWc, on aura besoin d’environ 1500 emplacements pour répondre aux objectifs, soit 0,4 % des agriculteurs ». « Quid des 400 000 autres agriculteurs qui n’auront pas cette chance ? », a approuvé Pascal Chaussec.
Pour mieux répartir l’investissement, l’Apepha souhaite ainsi proposer la création un véhicule d’investissement pour aider les agriculteurs à co-investir. « Cela renforce également leur poids sur la durée pour rester vigilants sur l’exploitation des parcs PV et sur le contrôle et la répartition de la valeur ajoutée », a justifié Pascal Chaussec. Autre idée : proposer aux agriculteurs de se grouper pour faire des achats communs de kits solaires d’un hectare environ.
« Il faut anticiper tous les bouleversements que cela implique, a commenté Blandine Thuel. Par exemple, l’installation de panneaux solaires change les relations entre les propriétaires fonciers et l’exploitant. Autre question qui n’est pas encore tranchée : un champ agricole équipé de modules PV devient-il une surface artificialisée ? » Acte Agri Plus constate aussi un manque de coordination au niveau des services de l’Etat. Selon la présidente, alors que les premiers projets commencent à voir le jour, les réponses au niveau des services départementaux dépendent de leur niveau d’avancement : si certains ont déjà des guides en matière d’agrivoltaïsme, d’autres sont plus attentistes et attendent un cadre réglementaire national.
Il est donc primordial de mieux structurer la filière. C’est d’ailleurs le but de la création en juin 2021 de France Agrivoltaïsme, emmenée par Sun’Agri, REM Tec, Kilowattsol, Altergie Développement et Râcines. « Nous voulons promouvoir des référentiels, organiser des priorités, a estimé Antoine Nogier. Il faut que l’Etat puisse dialoguer avec la filière pour savoir comment l’organiser ».
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