La filière du photovoltaïque vent debout contre la baisse des tarifs S21

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C’est la douche froide ! Après une belle dynamique en 2024, qui a permis aux nouveaux raccordements photovoltaïques d’atteindre près de 5 GW (dans les périmètres d’Enedis et de RTE), le gouvernement coupe l’herbe sous le pied de la filière solaire, en mettant en consultation un projet d’arrêté modifiant le soutien au développement des installations PV sur bâtiment, hangars et ombrières de moins de 500 kWc, segment le plus dynamique actuellement.

Une décision justifiée par le ministère chargé de l’industrie et de l’énergie par les contraintes budgétaires. « L’arrêté tarifaire a permis à de nombreuses installations photovoltaïques d’être créées en France ces dernières années. Cet engouement montre la montée en maturité économique de la filière, et conduit à ajuster les modalités de soutien à la filière pour chaque segment de puissance », peut-on lire dans un communiqué émis par le ministère.

Ainsi, sur le segment 0-9 kWc, la volonté du gouvernement est clairement de pousser à l’autoconsommation en abaissant le tarif d’achat du surplus et la prime à l’investissement. Cette dernière, qui a déjà connu une baisse de -40% depuis un an, serait encore divisée par deux. Le tarif de rachat du surplus d’électricité serait quant à lui divisé par trois, passant de 12,7 cts€ à 4 cts€/kWh.

Tableau de synthèse réalisé par Effy, spécialiste de l’efficience énergétique de la maison.

Image : Effy

Sur le segment 9-100 kWc, le tarif sera maintenu à son niveau actuel, mais sera soumis à un mécanisme de dégressivité plus fort. Ce segment sera calibré sur un volume de 92 MW par trimestre.

Enfin, sur le segment 100-500 kWc, le niveau tarifaire sera abaissé à 95 euros/MWh pour les demandes complètes de raccordement à compter du 1er février 2025 et jusqu’au 30 avril. Ce niveau tarifaire sera couplé à un mécanisme de dégressivité plus fort qu’actuellement, qui se fondera uniquement sur les chiffres du trimestre précédent. Le taux de dégressivité sera de 6 % chaque fois que la volumétrie dépassera de 1,25 fois le volume prévu qui est calibré sur 359 MW par trimestre.

Fin du tarif d’achat pour le 200-500 kWc à partir du 1er juillet 2025

A partir du 1er juillet 2025, le guichet ouvert entre 200 et 500 kW basculera de l’obligation d’achat au complément de rémunération. Ces évolutions seront en vigueur dans l’attente de basculer vers un nouveau mécanisme de soutien en appel d’offres simplifié, dont le calendrier est fixé à date au 1er janvier 2026. Bercy ne s’en cache pas : ce mécanisme est bien plus pratique pour piloter et limiter les volumes alloués et les tarifs, quand on sait qu’en 2024, sur le guichet ouvert 100-500 kWc, environ 4 GW de projets ont été déposés alors que le ministère s’était fixé la barre à 1,2 GW.

Afin de soutenir le développement des gigafactories de panneaux PV, à compter de la mi-2026, toute la tranche 100-500 kWc (ou son équivalent dans le cadre du futur système d’AO) sera réservée aux projets utilisant des panneaux résilients (modules répondant aux exigences NZIA). Puis en 2028, ce sont les modules et les cellules qui devront respecter les exigences NZIA. Cette bascule entraînera une réhausse du tarif (ou prix plafond) à 105 euros/MWh.

Pour finir, concernant l’arrêté dit “Petit sol”, la volonté du gouvernement est de le mettre en place à hauteur de 250 MW par an, avec une formule de dégressivité identique à celle du segment 100-500 kWc.

Un moratoire sur le solaire distribué ?

Pour les acteurs de la filière, ces évolutions majeures s’apparentent tout bonnement à un moratoire qui ne dit pas son nom. A l’image de celui de 2010, qui avait détruit 20 000 emplois dans la filière solaire. « Le gouvernement envisage de réduire les niveaux de soutien d’une manière telle que plus aucun projet ne sera viable économiquement en 2025 », s’insurgent les syndicats SER et Enerplan.  

« Si l’on parle d’impact économique et industriel, la filière solaire dans son ensemble est un levier majeur de croissance et de création d’emplois en France, rappelle de son côté Jérôme Mouterde, PDG de Dualsun. C’est pour rappel 17 000 emplois préservés et plus de 2 milliards d’euros de travaux générés pour 230 000 foyers français chaque année. Cela en fait un segment bénéficiaire pour les finances publiques grâce aux apports de TVA et de cotisations sociales qui compensent largement les dépenses liées au tarif de surplus et à la prime. En coupant sur les aides, le gouvernement risque de couper bien plus sur ses recettes ». Actuellement, environ 80% du segment 100-500 kWc concernent des projets agricoles et chaque GW de solaire 100-500 kW rapporte 400 millions d’euros au monde agricole, entre soulte et loyers. Avec un rythme annuel de 2 GW, ce sont 800 millions d’euros par an qui reviennent aux agriculteurs.

Effy dénonce pour sa part « une décision absurde tant pour le portefeuille des Français que pour la transition énergétique ». Le gouvernement « prend le risque de stopper une dynamique vertueuse qui allait en faveur de l’électrification des usages. En effet, on constate que les particuliers qui installent des panneaux sur leur toit vont être plus volontaires à installer une PAC et acheter un véhicule électrique. Cette baisse massive leur enverrait un très mauvais signal, alors que de plus en plus de familles commencent à s’équiper en panneaux. Une dynamique démarrait enfin en France (+54% sur la dernière année) mais qui reste très loin de ses voisins européens », énonce Audrey Zermati, Directrice Stratégie d’Effy.

Beaucoup de questions…

C’est pourquoi de très nombreux acteurs de la filière ont tenu à réagir, en particulier sur les réseaux sociaux, pour appeler le ministère à ne pas faire brutalement marche à arrière. Partout en France, la filière se mobilise auprès des députés locaux pour les alerter sur les conséquences concrètes. Car s’il est en effet nécessaire d’engager une discussion sur les niveaux de soutiens publics – et toute la filière savait que ce temps venu -, une telle politique qui souffle si brutalement le chaud et le froid risque d’entraîner une crise de confiance de la part des particuliers et des industriels. « Que va-t-il se passer pour les contrats de raccordement déjà signés et pour les promesses de baux, s’interroge Georges Seraphim-André, cofondateur de projetsolaire.com, bureau d’études numérique qui informe les particuliers et les met en relation avec des installateurs. C’est une perte de valeur énorme ».

Et qu’en est-il de la parole de l’Etat quand on sait que la future Programmation pluriannuelle de l’énergie, actuellement en cours de rédaction, prévoirait finalement une forte réduction de l’ambition pour le PV à horizon 2035 à 65 GW ? Soit 10 MW en-dessous de la fourchette basse qui avait été annoncée et très en dessous des 100 GW annoncés par Bruno Le Maire il y a deux ans.

Le gouvernement français veut soutenir la création d’une filière de production de panneaux photovoltaïques, notamment pour répondre aux exigences de relocalisation de 40 % de la production en Europe. Aux côtés des entreprises existantes comme Voltec, Reden et Heliup, la France a ainsi réussi à attirer trois nouveaux projets d’usines. Mais si ceux-ci ne verront pas le jour avant 2026-2027, c’est dès maintenant qu’ils ont besoin de se financer. Or, le soutien des banques ne s’obtient qu’avec une profondeur de marché suffisante pour assurer les volumes de pré-commandes. Avec un marché divisé par deux, cette perspective semble compliquée.

… et la nécessité de s’adapter

Dans ces conditions, de très nombreux professionnels dans le photovoltaïque expriment clairement leur inquiétude quant à l’avenir de leur entreprise. Déjà, l’annonce de la baisse de la TVA à 5,5 % dans la loi de finances, mais pas avant l’automne, avait plongé les installateurs dans l’expectative : si les particuliers attendent le mois d’octobre pour bénéficier du nouveau taux de TVA, cela implique neuf mois d’activité atone en attendant une éventuelle reprise. Cette fois, le nouveau mécanisme nécessitera trois trimestres pour revenir à un tarif S21 économique viable pour les installateurs. A nouveau, cela risque d’impliquer une perte de revenus conséquente et une rupture dans la dynamique.

D’autres professionnels, plutôt dans le secteur de l’installation des batteries et du pilotage de l’énergie que dans l’installation de panneaux solaires seuls, notent que c’est peut-être une opportunité pour la filière de s’affranchir des soutiens publics et de pouvoir s’auto-réguler comme elle l’entend. « La filière photovoltaïque parle de moratoire, mais nous y voyons surtout un signal : le modèle du solaire ultra-subventionné touche à sa fin, assure Jean-Yves Stephan, PDG & cofondateur de Storio Energy, spécialiste du stockage d’énergie en BtoB. Et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Le stockage permet de maximiser cette autoconsommation et de rentabiliser un projet solaire, même sans subvention. Preuve concrète : nous avons récemment mis en service une batterie de 2,5 MWh couplée à une centrale de 2 MWc. Résultat : 85 % d’autoconsommation et 50 % des besoins du site couverts, sans aucune aide publique. Notre vision est de développer le solaire de demain sera intelligent, flexible et piloté ».

Reste tout de même que la brutalité de l’annonce a pris de court beaucoup d’acteurs. « Nous savons pertinemment que la filière photovoltaïque doit gagner en autonomie. Des initiatives ont déjà été engagées dans ce sens, notamment pour répondre aux critiques sur son intermittence et à la dépendance aux subventions qui lui sont souvent reprochées. Nous sommes proches de proposer une énergie auto-portante, infinie, accessible , capable d’ouvrir la voie au stockage et au partage de l’électricité décarbonée. Voulez-vous réduire à néant tant d’efforts alors que nous sommes si proches du but recherché », regrette le Collectif de défense du photovoltaïque français (CDPF), émanation du TPAMPS (Touche pas à mon panneau solaire), né en 2010 à l’époque du moratoire.

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