Autant en emporte le soleil : les vertus du couplage éolien+solaire

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Il y a tout juste un an et demi, en juillet 2023, le producteur d’énergie Sorégies, basé à Poitiers dans la Vienne, annonçait le raccordement de la première centrale hybride en France, combinant sur le même poste source un parc photovoltaïque de 5 MWc et une centrale éolienne de 24 MWc mise en service en février 2014. Un schéma de raccordement innovant qui a valu au projet d’être lauréat d’un appel à projet de la Commission de régulation de l’énergie.

Les deux actifs, distants d’une dizaine de kilomètres, sont situés dans la Vienne, le premier à Savigné et le second à Saint Macoux. Tout l’intérêt de ce type de raccordement est de pouvoir injecter de l’énergie photovoltaïque sur le réseau dans des secteurs qui connaissent déjà une forte saturation des capacités d’injection disponibles. « Les principaux défis rencontrés lors de la conception de cette solution étaient de prévoir une augmentation soudaine de la puissance du parc éolien et de gérer la perte de communication entre les deux installations, en définissant des modes de fonctionnement dégradés pour ne jamais dépasser la puissance de raccordement accordée », indique Anna Wachowiak, directrice générale adjointe du groupe.

« Il serait important de stabiliser le cadre réglementaire relatif aux projets hybrides, au-delà des bacs à sable réglementaire de la CRE », Élodie Saillard, responsable juridique et affaires institutionnelles du SER

En parallèle de ces défis techniques, la centrale de Savigné a dû suivre le même processus d’autorisation que tout projet d’une puissance supérieure à 1 MWc. Ainsi, elle a fait l’objet d’une étude d’impact environnemental, suivie de l’obtention d’un permis de construire. « Les équipements et la conception de la centrale restent similaires à ceux d’une centrale raccordée sur le réseau, reprend Anna Wachowiak. Les défis résidaient principalement dans la capacité de la centrale à communiquer avec le parc éolien en moins de 200 millisecondes. C’est pourquoi Sorégies s’est fait accompagner par Naldéo pour concevoir un système de gestion de l’énergie (EMS) capable de garantir une communication fluide entre les deux installations. Ce système a été conçu pour répondre aux enjeux spécifiques du projet, en assurant une gestion optimale de l’énergie et un suivi opérationnel précis ».

Obstacles législatifs

Malgré le succès de cette première opération, Sorégies ne prévoit pas de reproduire ce modèle dans sa région ou ailleurs en France, en raison des obstacles réglementaires actuels. Le cadre législatif ne semble pas encourager le développement de tels projets hybrides à grande échelle. Seul Baywa r.e., filiale du groupe allemand, développe actuellement un projet hybride, le parc éolien et solaire de La Haute Voie. Situé au sud-est de la Marne (51), sur le territoire des communes de Loisy-sur-Marne et Maisons-en-Champagne, il comprend une centrale solaire de 30 MW et un parc éolien de 33,2 MW. Cependant, au moment de la publication de cet article, la société n’était pas en mesure de fournir davantage d’informations sur sa mise en œuvre.

Selon Élodie Saillard, responsable juridique et affaires institutionnelles du Syndicat des énergies renouvelables (SER), les projets hybrides s’inscrivent dans le cadre des « bacs à sable réglementaire » de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ils permettent aux acteurs de tester leur technologie ou un service innovant sans devoir nécessairement respecter l’ensemble de la réglementation qui s’appliquerait normalement, et ce, pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans.

« L’article 61 de la loi Energie-Climat a en effet introduit un mécanisme expérimental dans le secteur de l’énergie, visant à faire évoluer le cadre juridique pour mieux accompagner l’innovation », précise-t-elle. Ce dispositif permet l’expérimentation de technologies ou de services innovants au service de la transition énergétique. Sous certaines conditions, il donne à l’autorité administrative ou à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) la possibilité d’octroyer des dérogations temporaires aux porteurs de projets, leur permettant de déroger aux règles d’accès et d’utilisation des réseaux et installations établies dans les titres II (règles relatives au transport et à la distribution), IV (accès et raccordement au réseau) et V (utilisation de l’électricité) du Code de l’énergie. Ce cadre juridique flexible permet ainsi de tester des innovations qui, sans ce dispositif, auraient nécessité des révisions préalables du cadre législatif et réglementaire.

Dans le cas des projets hybrides, un obstacle majeur réside donc dans une disposition du Code de l’énergie qui interdit le raccordement d’une installation de production à un réseau public de distribution d’électricité en HTA (Haute Tension A) lorsque sa puissance installée excède 17 MW. Actuellement, pour se conformer à cette règle, les développeurs ont deux options : raccorder des postes de livraison (PDL) distincts par tranches de 17 MW, ce qui génère des coûts de raccordement élevés, ou limiter la puissance des projets à 17 MW. « Le bac à sable réglementaire permet à la CRE d’octroyer des dérogations temporaires, d’une durée maximale de quatre ans, renouvelables une fois. Après cette période, si la réglementation n’a pas évolué en faveur du projet, le producteur devra se conformer aux règles en vigueur. Tant que le cadre réglementaire n’évolue pas, ces blocages subsistent », analyse Élodie Saillard.

Selon elle, au-delà des questions de raccordement, les projets hybrides amènent donc à s’interroger sur deux autres problématiques : le soutien économique et le foncier, en particulier si le projet est situé en espace agricole. « Il serait important de stabiliser le cadre réglementaire relatif aux projets hybrides, au-delà des bacs à sable réglementaire de la CRE », conclut Élodie Saillard.

Cas d’école au Brésil

Le besoin de règles claires et d’une rémunération adaptée pour les projets hybrides a d’ailleurs été démontré dans des marchés pionniers, comme le Brésil et l’Inde. Le premier a ainsi pris une longueur d’avance dans la conception et la construction de projets hybrides solaires et éoliens. L’un des premiers complexes hybrides au monde a été développé par Enel Green Power (EGP), filiale du groupe italien Enel, à Tacaratu, dans l’État de Pernambuco, en 2015. Le parc Fontes combine un parc éolien de 80 MW (Fontes dos Ventos) et une centrale solaire de 10 MW (Fontes Solar). « Ce projet pionnier a contribué à faire avancer le suivi des données techniques et à ouvrir des discussions réglementaires sur la complémentarité du solaire et de l’éolien au Brésil », assure un porte-parole d’EGP.

La région n’a pas été choisie au hasard : elle bénéficie de vents particulièrement forts et constants la nuit, ce qui permet d’assurer une production éolienne lorsque les installations solaires sont inactives. « Les investissements dans de tels projets ont le potentiel de rendre les énergies renouvelables plus compétitives tout en optimisant le système de transport de l’électricité », explique le porte-parole de Enel Green Power. L’exploitation de projets comme Fontes a d’ailleurs joué un rôle clé dans l’évolution de la réglementation, aboutissant à une résolution de 2021, qui établit les normes techniques pour ce type d’installations.

Casa dos Ventos a développé plus de 20 projets hybrides totalisant 2,3 GW, dont cinq devraient être construits d’ici 2026, ajoutant 650 MW au portefeuille opérationnel de l’entreprise.

Image : Casa dos Ventos

C’est dans ce cadre que l’agence nationale brésilienne de l’électricité (ANEEL) a défini les critères de construction des centrales hybrides via la résolution normative n° 954/2021. Cette réglementation distingue deux types de projets : les centrales hybrides et les centrales associées. Les premières bénéficient d’un processus d’autorisation unique et peuvent utiliser une seule technologie de mesure, tandis que les secondes, bien qu’elles puissent fonctionner ensemble, nécessitent des autorisations et des mesures distinctes. Les deux types peuvent combiner toutes sortes de technologies de production, y compris des sources fossiles.

« Les centrales hybrides et associées contribuent à l’expansion de l’offre d’électricité en tirant parti des synergies : réductions des investissements pour l’extension du réseau, atténuation du risque commercial, économies sur l’achat ou la location de terrains… », souligne Carlos Dornellas, directeur de ABSolar, l’association brésilienne du photovoltaïque. Concernant la conception des centrales, elle dépend principalement des caractéristiques spécifiques et du stade d’avancement de chaque projet. « Il n’existe pas de configuration universelle, chaque projet doit être adapté à son contexte », précise-t-il. La règle fixe juste que la puissance nominale minimale de l’ensemble hybride soit de 5 MW. Elle permet également l’hybridation de nouvelles centrales avec des installations existantes. « Offrir davantage de possibilités de combinaisons aide les développeurs à prendre des décisions plus éclairées », affirme Carlos Dornellas.

Enfin, comme incitation financière, la résolution impose des réductions sur les frais d’utilisation du système de transmission d’électricité et offre la possibilité à certains utilisateurs finaux, comme l’industrie à forte intensité énergétique, d’avoir un accès prioritaire à l’électricité moins chère des centrales hybrides. « Ces projets conservent les remises applicables à chaque source d’énergie prise de manière individuelle, comme c’est déjà la norme, tout en introduisant une règle pour l’utilisation combinée de plusieurs sources », affirme Carlos Dornellas, soulignant que l’objectif principal de ces règles est d’élargir l’accès au marché pour les entrepreneurs, tout en maintenant un cadre réglementaire solide.

Les décalages entre l’expansion du réseau de transport et l’offre de projets peuvent encourager le développement de davantage de centrales hybrides, selon Antonio Salgueiro, directeur général pour l’Amérique latine chez TBEA, un fournisseur chinois d’onduleurs de chaîne et centraux. Il indique que le volume de projets hybrides solaires sur lesquels l’entreprise a travaillé dépasse déjà 1 GW. « Pour optimiser l’utilisation du réseau de transport, les centrales hybrides éoliennes et solaires ont atteint une proportion idéale, avec 60 à 70 % de la puissance totale provenant de l’éolien et 30 à 40 % du solaire », calcule-t-il.

Même raisonnement du côté de Voltalia qui construit le cluster éolien-solaire Serra Branca à Serra do Mel, dans l’État de Rio Grande do Norte. L’entreprise française a identifié le potentiel de la région en 2007 et a commencé à développer le projet en 2008. L’étendue de 50 km sur 15 km du cluster Serra Branca comprend 40 000 hectares de panneaux solaires et d’éoliennes. Aujourd’hui, ce cluster dispose de plus de 1 GW d’éoliennes en exploitation, détenues et revendues à des tiers, ainsi que de plus de 500 MW d’énergie solaire, en exploitation ou en construction, note son responsable des marchés Amérique latine et Afrique du Nord, Robert Klein. Avec une capacité totale de 2,4 GW, Serra Branca est entièrement connecté au système interconnecté national par une ligne de transmission de 500 kV sur 50 km, ce qui place cette région stratégique sur la carte énergétique du pays.

L’hybridation s’avère particulièrement intéressante si l’investissement est envisagé dès la conception du parc éolien, comme le juge Francisco Habib, directeur de l’ingénierie de Casa dos Ventos, une entreprise brésilienne fortement active dans le développement de projets hybrides. Mais ce n’est pas indispensable. « Dans la majorité des cas, les investisseurs ont déjà un portefeuille éolien en construction ou en exploitation et se lancent dans l’analyse de l’opportunité d’ajouter le solaire », poursuit-il. Dans ces situations, l’énergie solaire capte souvent une grande part des bénéfices. Cela n’est pas problématique, car l’hybridation fonctionne efficacement lorsque le même investisseur gère les deux technologies, optimisant ainsi les risques et maximisant les synergies durant l’exploitation.

Pour sa part, Casa dos Ventos, a identifié en 2014 l’opportunité « d’hybrider son portefeuille éolien, en tirant parti des synergies d’investissement et d’exploitation, ainsi que de la complémentarité des sources, permettant une utilisation plus efficace du système de transmission à moindre coût », reconnaît Francisco Habib. Depuis, elle a développé plus de 20 projets hybrides totalisant 2,3 GW, dont cinq devraient être construits d’ici 2026, ajoutant 650 MW au portefeuille opérationnel de l’entreprise. Outre la complémentarité de production entre l’éolien et le solaire dans le nord-est du Brésil, selon lui, « l’élément déterminant reste l’aspect économique, en particulier pour les projets hybrides optimisés, qui se montrent plus compétitifs que leurs équivalents autonomes ».

L’exemple indien

Avant la publication de la réglementation par l’ANEEL en 2019, l’agence brésilienne de recherche énergétique, l’EPE, avait auparavant fourni un aperçu des pays à fort potentiel pour les projets hybrides solaires et éoliens. Parmi eux figuraient la Chine, les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et l’Inde. À ce jour, seule l’Inde a réussi à développer des projets de grande envergure.

Une centrale solaire-éolien en Inde développée par First Energy.

Image : First Energy Private Limited

Ce pays de plus d’un milliard d’habitants mène depuis 2018 une politique active en faveur de la production hybride photovoltaïque et éolienne. En 2023, il a ainsi contracté 840 MW de capacité de production hybride via un appel d’offres avec des prix finaux proches de 0,038 $ le kWh (soit environ 0,036 €/kWh). Dès lors, les projets de ce type se sont multipliés, tant sur les marchés réglementés que libres de l’énergie. Le fournisseur d’énergie Tata Power construit actuellement la plus grande centrale électrique hybride du pays, un projet de 966 MW comprenant 379 MW d’énergie solaire et 587 MW d’énergie éolienne. Lors de la dernière enchère, finalisée en novembre, le producteur d’énergie hydroélectrique SJVN a alloué 1,2 GW de capacité hybride à un prix final d’environ 3,19 INR (0,036 €)/kWh. Par ailleurs, en juillet, deux autres grands groupes indiens, NTPC et Solar Energy Corporation of India, ont lancé deux appels d’offres pour des projets hybrides éolien-solaire pour un total de 1,6 GW.

Ce succès repose en grande partie sur le cadre réglementaire favorable aux projets hybrides. « La capacité électrique nominale d’une ressource doit être au moins 25 % supérieure à celle de l’autre ressource », décrit Ravi Damaraju, PDG du développeur First Energy Private Limited. Cela garantit un facteur d’utilisation plus élevé pour les projets hybrides, ce qui se traduit par une production d’électricité plus importante sur la même surface. De plus, les règles indiennes permettent également aux systèmes hybrides d’être raccordés à deux nœuds différents, ce qui améliore la stabilité du réseau.
Selon Aditya Malpani, responsable régional des activités chez Ampin Energy Transition, l’autre avantage tient à l’utilisation optimisée des terres et des infrastructures du réseau.

Pour les grands projets hybrides, de 500 MW à 1 GW, la distance peut atteindre 50 à 100 km entre les postes solaires et éoliens

« Il est essentiel d’identifier un emplacement avec un potentiel éolien idéal, d’analyser le rayonnement solaire au même endroit et d’élaborer une stratégie en conséquence, liste Aditya Malpani. L’essentiel est d’avoir une capacité suffisante pour les deux composants. Disons qu’avec une capacité éolienne de 100 MW, il faut au moins 33 MW d’énergie solaire ». L’expert estime le coût actualisé de l’énergie (LCOE) pour les projets en Inde avec une capacité de production de plus de 100 MW à environ 3 INR/kWh (0,034 €/kWh) et entre 3,5 INR/kWh et 4 INR/kWh (soit environ 0,038 € à 0,043 €/kWh) pour les projets commerciaux. « L’État du Gujarat a introduit la première politique hybride éolienne et solaire et ce fut un succès, rappelle-t-il, tout soulignant l’importance des programmes de primes. Grâce à ce soutien, près de 1 GW de projets hybrides éoliens-solaires ont été installés en moins de deux ans ».

Le problème du réseau

Bien que la colocalisation des installations soit essentielle, elle ne doit pas faire aussi oublier l’espacement nécessaire pour ne pas affecter négativement les performances des autres. « Par exemple, si une éolienne est trop proche d’une centrale solaire, l’ombrage peut réduire l’efficacité de la production solaire », prévient Dilip Mehta, directeur de l’exploitation chez le développeur Amplus Solar. Par ailleurs, les pertes de ligne entre le point de production et la sous-station de mise en commun sont inévitables, car les éoliennes doivent être espacées pour limiter les effets de sillage.

L’intégration des éoliennes nécessite de fait de longs réseaux de lignes basse tension, qui augmentent les pertes en ligne. « Soit on fait un compromis sur les pertes en ligne solaire en gardant le poste de mise en commun à proximité des éoliennes, soit l’inverse, concède-t-il. Pour les grands projets hybrides, de 500 MW à 1 GW, la distance peut atteindre 50 à 100 km entre les postes solaires et éoliens ».

En conclusion, le développement d’installations hybrides permet d’optimiser les ressources et les coûts et contribue à réduire certaines vulnérabilités du réseau, en termes de temps de renforcement et de stabilité. Sur ce dernier point, la France dispose d’un réseau solide si on le compare à celui de l’Inde et du Brésil et ne semble pas nécessiter un recours immédiat à l’hybridation. Cependant, si les énergies renouvelables continuent de croître au rythme actuel et que les projets nucléaires annoncés par l’administration du président Emmanuel Macron commencent à se concrétiser, les projets éoliens-solaires pourraient être plus attractifs qu’ils ne le sont actuellement. Fournir dès maintenant des règles adéquates et préparer le terrain pour leur développement pourrait éviter d’autres problèmes à l’avenir.

Edition spéciale de pv magazine France

Cet article est tiré de l’édition spéciale de pv magazine France éditée pour Energaïa en décembre 2024 et à télécharger ici.

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