« Les taux d’autoconsommation sont très dépendants du cadre réglementaire instaurés dans chaque pays », indiquait Baptiste Possémé, chef de projet du cabinet d’analyse Enerdata, lors de l’Université d’autoconsommation photovoltaïque 2024 qui a eu lieu en septembre. Les mécanismes de tarification de vente du surplus présentent différentes natures : tarifs d’achat comme c’est encore le cas en France et en Allemagne, mécanisme de comptage net (net metering) dans lequel toute l’électricité injectée est décomptée à un prix fixe ou enfin système de facturation nette (net billing) où la rémunération de l’injection du surplus est directement dépendante des prix du marché.
« Aujourd’hui, en Europe, on assiste à une sortie progressive des mécanismes de comptage net, qui peuvent être très coûteux, vers la facturation nette pour arriver à une indexation plus forte de la rémunération sur les marchés afin d’encourager la croissance des taux d’autoconsommation », relève Baptiste Possémé. Le dernier exemple en date concerne les Pays-Bas. La chambre basse du Parlement néerlandais a ainsi approuvé mi-novembre une proposition visant à supprimer progressivement le système de net-metering à partir de 2027.
En France, le débat est aussi amorcé, sans pour l’heure remettre en cause le système du tarif d’achat. L’une des solutions prévues par la Commission de régulation de l’énergie s’appuie donc sur le système d’alternance entre heures pleines et heures creuses. A l’heure actuelle, 85 % des clients français ayant choisi cette option bénéficient d’un tarif au kWh minoré la nuit. Une disposition qui avait été mise en place pour encourager la consommation aux heures nocturnes quand il fallait absorber la production nucléaire. « Pour tenir compte de l’évolution du mix de production électrique et de l’abondance de production photovoltaïque estivale, un déplacement progressif des heures creuses en journée l’été est envisagé dès août 2025 », indique désormais la CRE. En fonction des zones géographiques et des tensions sur le réseau électrique, certains clients se verraient attribuer sur les mois estivaux de nouvelles plages d’heures creuses comprises entre 2 et 6 heures du matin et entre 11 et 17 heures.
L’objectif serait de les inciter à utiliser ces heures en journée, où l’électricité est abondante et peu chère, pour programmer une machine à laver, un chauffe-eau ou la recharge d’une voiture électrique, et les faire coïncider avec les pics de production dus au photovoltaïque. L’un des premiers effets serait de réduire l’occurrence des prix négatifs. L’Hexagone a en effet connu au premier semestre 2024 une multiplication des épisodes de prix négatifs : 233 heures à prix négatif au premier semestre 2024 contre 53 au 1er semestre 2023, soit 5 % des heures de production, surpassant le record de 2023 (147 heures).
Stockage et bornes de recharge changent la donne
Le second effet concernerait le taux d’autoconsommation. Les particuliers et professionnels seraient ainsi encourager soit à autoconsommer soit à stocker leur électricité en journée, au moment où les tarifs de vente sont les plus bas, pour l’injecter plutôt le matin ou le soir, au moment il serait plus avantageux de la vendre.
Ce décalage de la vente du surplus s’envisage en parallèle du déploiement des véhicules électriques qui représentent autant de nouvelles solutions de stockage disponibles sur le marché et qui permettront un décalage concret du sous-tirage réseau dans les opérations d’autoconsommation. En France, l’arrivée prévue de deux millions de voitures électriques en 2030 représente quelques 100 GW de batteries embarquées. Sachant qu’une voiture est arrêtée 90 % du temps, elle deviendrait un actif énergétique en soi, d’autant plus si le particulier ou l’entreprise s’équipe d’une borne de charge bidirectionnelle, comme c’est déjà le cas dans certaines opérations de l’entreprise française Sween. Résultat : le consommateur se dote d’une batterie doublement rentabilisée qui lui permet d’augmenter le taux d’autoconsommation de son opération.
Le stockage est ainsi amené à jouer un rôle clé dans le déploiement et l’exploitation du photovoltaïque en autoconsommation. Pour l’heure, « les prix relativement bas de l’électricité, par rapport à l’Allemagne, à l’Italie et au Royaume-Uni, et des incitations politiques directes limitées dans le temps ne sont pas parvenus à créer des conditions marché favorables pour les batteries résidentielles en France », remarque Dina Darshini, responsable du secteur C&I, solaire et batterie du cabinet de conseil LCP Delta. Et les prix élevés des systèmes allongent leur durée de retour d’investissement.
« Sur la fourchette haute, il n’est pas rare de trouver des devis en France allant jusqu’à 28 000 euros pour un système photovoltaïque de 6 kW avec une batterie », affirme-t-elle. C’est sûrement ce qui explique qu’à peine 2 500 foyers se sont équipés d’une batterie en 2023, soit 1,2 % des installations. Pour autant, avec la hausse attendue des prix de l’électricité dans le futur, les solutions de stockage physique pourraient devenir plus attractives, aussi bien pour les installations résidentielles que pour les installations commerciales et industrielles – segment sur lequel on voit apparaître de plus en plus d’offres spécifiques et technologiques. « Nous prévoyons ainsi que le marché des batteries résidentielles atteindra 10 000 à 30 000 installations par an jusqu’en 2030, à moins que de nouvelles subventions ou réglementations ne soient annoncées pour encourager ou obliger l’adoption du stockage », poursuit Dina Darshini. Les batteries pourraient alors contribuer à augmenter la rentabilité de l’installation solaire dans sa globalité en permettant aux producteurs de faire un arbitrage en fonction du prix du marché. Certains acteurs, comme Octopus Energy, imaginent même que l’aide au surplus, via le tarif d’achat, pourrait progressivement être déplacée vers l’aide à l’installation de batteries…
Dans ce cas-là, le parc de batteries déployé chez les particuliers et les entreprises pourrait alors être pensé comme un actif modulable à grande échelle, capable de fournir des services au réseau et donc, de permettre une meilleure intégration des énergies renouvelables. Si elle pose des questions de gestion de parc et de modèle économique à développer, cette perspective est innovante dans le sens où elle permet de mettre à contribution une capacité de stockage très modulaire, granulaire et déployée sur tout le territoire.
Moins coûteux à l’achat, le stockage virtuel fait aussi son arrivée dans les offres d’autoconsommation. Avec cette solution, la batterie virtuelle permet de comptabiliser l’énergie excédentaire injectée dans le réseau sous forme de crédits énergétiques auprès des fournisseurs de la batterie virtuelle comme Urban Solar, MyLight Systems et JPME. Revendue ensuite par ces gestionnaires, l’énergie est valorisée au prix du marché. Si les acteurs de l’autoconsommation voient pour la plupart d’un bon œil ce développement, certains regrettent les mauvais signaux envoyés par le dispositif qui n’encourage pas le déplacement des usages en fonction de la production solaire.
Autoconsommation collective : libérer le cadre juridique
Pour massifier l’autoconsommation collective, et faire en sorte qu’une production d’énergie renouvelable en circuit court puisse être déployée dans chaque commune de France, des freins doivent encore être levés. À commencer sur la question du périmètre dérogatoire dans lequel ces opérations peuvent être réalisées : 10 km ou 20 km, selon les cas. Mais avec une limite, de taille : l’impossibilité, quand on demande une dérogation en milieu rural par exemple, de pouvoir intégrer des communes péri-urbaines ou urbaines. Idem en zone péri-urbaine, où une opération d’ACC peut, certes, s’étendre aux communes rurales, mais pas à la zone urbaine limitrophe.
L’ACC est une piste sérieuse pour contourner les limitations ABF dans les centres anciens par exemple.
Discutée lors de la 7e Université de l’autoconsommation collective organisée par le syndicat Enerplan, cette non inclusivité du périmètre d’intervention n’a « aucun sens, selon Florence Morin, directrice des activités Biogaz et Photovoltaïque Opale. Cela ne coûterait rien à l’État de faire sauter ce périmètre ». D’autant que l’autoconsommation collective s’avère être une piste sérieuse pour contourner les limitations ABF dans les centres anciens par exemple : en « couvrant ce qui est couvrable » dans la périphérie directe, les communes protégées pourraient consommer une énergie solaire locale et profiter (enfin) des avantages de l’autoconsommation, sans passer par les contentieux ABF. Si plusieurs travaux ont été entrepris localement par les DREAL et les ABF pour améliorer le parcours, il reste que plusieurs parcs urbains se prêtent peu à la pose de panneaux, pour des raisons patrimoniales mais aussi techniques et de budget.
Autre obstacle sur la route de l’autoconsommation collective : le statut de fournisseur, que les acteurs de l’ACC ne veulent pas se voir appliquer. « La France est le seul pays en Europe qui force les producteurs à posséder une licence pour la production d’énergie. C’est un non-sens, là aussi. Cette décision ralentirait forcément l’ACC, alors que des partenariats avec des fournisseurs existants, sous la forme de délégations de licence, vont davantage dans le sens de l’histoire », plaide Thomas Jouannic, cofondateur du cabinet Animergy. Et ce d’autant plus que ni la loi, ni les textes ne citent expressément l’ACC en la matière, et que le code de l’énergie prévoit déjà un régime dérogatoire pour l’autoconsommation collective. Aucune raison, donc, de mettre l’ACC sur le même plan que le PPA…
Pour se développer, l’ACC a également besoin d’un cadre juridique et fiscal harmonisé, quand aujourd’hui les règles diffèrent. Principales revendications : l’exonération d’Accise pour tous les consommateurs des opérations d’autoconsommation collective (S21, S24, AO CRE) – une décision politique avant tout – et la possibilité pour le producteur, via la PMO, de pouvoir récupérer le TURPE à la place du consommateur.
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