« Pendant des années, je disais “ça va démarrer” et maintenant nous sommes arrivés à ce point de bascule », s’est réjoui Daniel Bour, le président du syndicat de l’énergie solaire Enerplan, lors de son discours inaugural à l’Université d’autoconsommation photovoltaïque (UAPV) à Paris en septembre dernier. En 2022, les raccordements en autoconsommation ont atteint 450 MW, puis ont plus que doublé à 1 GW en 2023. Et pour 2024, ils devraient franchir la barre des 1,4 GW. Cela représente un tiers de la capacité photovoltaïque totale prévue pour 2024 (entre 4 et 4,5 GW), prouvant que l’autoconsommation n’est plus une simple niche, mais bien une composante majeure du mix renouvelable français.
Les raisons de cet engouement sont bien connues. Dans un contexte de hausse des prix de l’électricité, les Français sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le solaire pour réduire leur facture d’énergie et gagner en autonomie. Pendant des décennies, le prix de l’électricité relativement modéré et stable en France, basé sur une production nucléaire, rendait l’investissement dans des systèmes photovoltaïques peu attractif, que ce soit pour les particuliers ou les professionnels. Mais la crise énergétique de 2022 a mis en lumière qu’ils pouvaient être soumis à une forte volatilité. Des relevés réalisés par HelloWatt montrent que depuis février 2022, le prix moyen de l’électricité pour un particulier est passé de 0,20 €/kWh à près de 0,30 €/kWh. Concernant les clients BtoB, l’Institut national de la statistique (Insee) note qu’entre 2021 et 2022, la facture énergétique des établissements de 20 salariés ou plus de l’industrie était en hausse de 54 %, alors que leur consommation d’énergie avait diminué de 5 %. Autant d’arguments qui ont poussé les foyers, les entreprises et les collectivités à se solariser, au moins pour couvrir leur talon de consommations. De plus, le déploiement du compteur Linky et les téléopérations d’Enedis permettent d’automatiser les demandes.
Ainsi, selon le portail du gestionnaire du réseau de distribution, à la fin du troisième trimestre 2024, parmi les 1 019 588 installations recensées, 617 874 étaient en autoconsommation, soit avec injection du surplus (513 952) ou sans injection (103 922). « Ces chiffres vont croître puisque désormais, sur le segment BT inférieur à 36 kVa, la quasi-totalité des demandes de raccordement sont en autoconsommation », prédit Hervé Lextrait, directeur du pôle Transition énergétique chez Enedis. Sans oublier l’impact des kits solaires en « plug and play », à brancher sur une prise domestique, bien que leur nombre soit encore très inférieur à celui de nos voisins allemands qui ont enregistré 220 000 nouvelles installations solaires de ce type (soit l’équivalent de 200 MW) au premier semestre 2024.
Dans le détail, toujours suivant Enedis, la capacité photovoltaïque totale raccordée en France à fin septembre 2024 s’élevait donc à 20 536 MW, dont 17 132 MW en injection totale et 3 404 MW en autoconsommation. Sur ce dernier chiffre, ce sont les installations avec injection du surplus de production qui dominent (2 862 MW), sachant que ce segment est boosté par les puissances de 3 à 6 kVa (qui représentent 1 282 MW). Enfin, seuls 542 MW se font sans vente du surplus, sur deux groupes de puissance : le 1 à 3 kVa pour les particuliers (101 MW au total) et les centrales PV de 100 à 150 kVa des professionnels, éligibles au guichet ouvert (soit 122 MW).
Un poids de trois milliards d’euros
La croissance de ce marché présente des aspects vertueux à plusieurs niveaux. Economique tout d’abord, comme l’a rappelé Laetitia Brottier, vice-président d’Enerplan et co-fondatrice du fabricant de panneaux DualSun : « en 2023, près de 200 000 nouvelles installations en autoconsommation ont été raccordées et sur les neuf premiers mois de 2024, nous en sommes déjà à près de 180 000, a-t-elle indiqué lors de l’UAPV. Il faut saluer l’effort considérable de la filière. Cela représente trois milliards d’euros de chiffre d’affaires en France ».
Vertueuse aussi pour le système électrique dans son ensemble. « Nous assistons à un changement de comportement chez les autoproducteurs, complète Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Les particuliers équipés de panneaux solaires s’intéressent davantage à leur profil de production, ce qui amène à une responsabilisation sur leurs consommations électriques, avec une réduction au global ou un décalage dans la journée. Dans un deuxième temps, cela mène aussi à une réflexion au niveau des usages avec l’achat d’une pompe à chaleur ou d’un véhicule électrique… ».
Pourtant, s’il fallait voir le verre à moitié vide, il faudrait éviter de crier victoire trop rapidement. Dans l’Hexagone, pays de 18 millions de propriétaires, seuls 3 % des foyers sont équipés de panneaux photovoltaïques. Un très faible bilan en Europe. Ainsi, selon des données fournies par le cabinet d’analyse LCP Delta, le pourcentage de logements à bon potentiel – c’est-à-dire disposant d’une charpente adéquate et sans ombrage – monte à 30 % en Pologne, 29 % aux Pays-Bas, 28 % en Belgique ou encore 15 % en Allemagne. Dans les pays plus au sud, le Portugal se situe à 20 % et l’Italie à 11 %. Enfin, l’Espagne, si elle plafonne à 5 %, a récemment mis en place un programme incitatif et devrait voir ses chiffres augmenter rapidement. « Nous avons aussi une belle marge de progression », souligne Daniel Bour au vu de ces chiffres.
Encore faudrait-il que les incitations politiques suivent. Car si les aides financières – tarif d’achat et prime d’investissement – restent des arguments majeurs dans la décision des particuliers de s’équiper en modules solaires, ceux-ci n’ont cessé d’être rabotés. Pour un moins de 3 kWc, la prime est passée de 0,50 €/Wc début 2023 à 0,22 €/Wc fin 2024. Même tendance pour le tarif de vente du surplus. Par exemple, toujours pour une puissance inférieure à 3 kWc, il a évolué de 13,13 ct€/kWh début 2023 à 12,69 ct€/kWh fin 2024.
Le développement du photovoltaïque s’inscrit aussi, pour l’Etat, dans une stratégie de maîtrise des dépenses publiques.
C’est en tout cas ce qu’indique la future Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) qui, à l’heure où nous écrivons ces lignes, en est à l’étape de la concertation. Si le texte n’est pas gravé dans le marbre, il confirme tout l’intérêt à développer l’autoconsommation. « L’Etat s’engage dans des travaux permettant de valoriser cette filière, notamment pour les collectivités territoriales (dérogation à l’obligation de réaliser un budget annexe, possibilités d’augmenter le périmètre géographique…) mais également en soutenant l’autoconsommation dans les appels d’offres, avec des dispositions spécifiques, ainsi que dans les arrêtés tarifaires », peut-on lire dans le document. Toutefois, l’objectif affiché reste d’« optimiser les dispositifs de soutien dans le respect de l’impératif de maîtrise de la dépense publique ». En d’autres termes, la PPE3 s’engage à « un réexamen du modèle économique », sans en préciser pour l’instant les contours. La question demeure donc de savoir si les aides publiques continueront à être suffisantes pour inciter les particuliers à devenir des « consommateurs-acteurs ».
Même question sur les taxes et la révision du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE 7) pour la période 2025-2028 également en cours. De très nombreux particuliers qui produisent leur propre électricité souhaitent en effet en être exonérés, étant donné qu’ils soutirent moins d’électricité. Pour Emmanuelle Wargon toutefois, il est crucial qu’ils continuent de contribuer aux investissements du réseau « pour l’utilisation qu’ils en font ». « Cette tarification, qui s’apparente davantage à une logique d’assurance, est justifiée, argumente la présidente. Les autoproducteurs utilisent certes moins le réseau, mais ils en ont toujours besoin en sécurité en cas de non-production des panneaux solaires ou pour injecter l’électricité ». Officiellement, Enerplan approuve cette ligne et se dit favorable au maintien du TURPE, tout en demandant une TVA à taux réduit à 5,5 % alors qu’elle est aujourd’hui de 10 % pour les puissances inférieures ou égales à 3 kWc et de 20 % pour les plus de 3 kWc.
Trouver de nouveaux relais de croissance dans le C&I
L’enjeu derrière ces problématiques pour la filière est de continuer à garder le rythme de la croissance après une année exceptionnelle en 2023, conséquence de la crise énergétique, pour continuer à massifier l’autoconsommation. Grégory Jarry, chef de projet au cabinet Roland Berger, note également que « la solarisation des toitures et des ombrières, notamment dans les secteurs des entreprises, des agriculteurs et des collectivités, constitue un relais de croissance important, mais encore largement inexploité ». Selon une étude réalisée par son cabinet en 2023, 30 % seulement des nouvelles installations photovoltaïques pour le C&I (commercial et industriel), entre 9 kWc à 1 MWc, était en autoconsommation, dont 10 % sans vente du surplus. Ce faible pourcentage s’explique par le fait que de nombreux acteurs choisissent encore de financer leur investissement solaire par la vente de l’intégralité de leur production d’électricité.
Bien que le guichet ouvert pour les installations jusqu’à 500 kWc ait contribué à accélérer la dynamique pour les entreprises, la croissance annuelle de l’autoconsommation sur les grandes toitures a été limitée à 10 % en 2023. « Nous sommes encore très loin des chiffres du segment des particuliers », déplore David Marchal, directeur exécutif expertise et programmes à l’Agence pour l’environnement (Ademe). Pourtant, l’autoconsommation en C&I présente deux avantages : l’augmentation des capacités solaires sans artificialiser les sols et le fait que les PME et entreprises industrielles disposent d’un niveau de consommation suffisamment élevé pour maximiser leur taux d’autoproduction.
Elles y sont d’ailleurs incitées via la réglementation, comme le décret tertiaire qui impose la solarisation ou la végétalisation des toitures des bâtiments de plus de 1 000 m2. Ainsi que par la loi d’accélération des énergies renouvelables qui encadre l’installation d’ombrières solaires sur leurs parkings. Un gisement encore important pour les acteurs du photovoltaïque.
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