Sur réseau ou hors réseau : quelle voie pour l’approvisionnement électrique en Afrique ?

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D’après pv magazine International

Pour l’entreprise Scatec, entreprise norvégienne qui commercialise son système redéployable de production et de stockage de l’électricité solaire « Release by Scatec », les systèmes préassemblés et redéployables, aujourd’hui populaires auprès des exploitations minières hors réseau, avaient au départ été imaginés pour répondre aux problèmes des réseaux électriques défaillants et des compagnies d’électricité en difficulté.

« Le modèle du producteur d’énergie indépendant (IPP) solaire classique est extrêmement chronophage : négocier l’accord, obtenir les financements, les diverses autorisations, réaliser les dossiers administratifs… Nous nous sommes donc demandés comment résoudre ces difficultés », confie Hans-Olav Kvalvaag, son PDG, à pv magazine. À titre d’exemple d’application du système sur le réseau, il cite la mise en place d’une capacité de production de 36 MW avec Release, plus 20 MWh de stockage sur batterie pour une compagnie d’électricité locale au Cameroun.

Bien que ce projet soit raccordé à un réseau régional du nord du pays, son aspect modulaire et facile à installer a relancé le débat sur la répartition que devraient atteindre les réseaux électriques en Afrique, entre le « sur réseau » et le « hors réseau » dans le futur.

Promouvoir les mini-réseaux

« Il existe un nombre considérable de solutions, allant des panneaux solaires chez les particuliers, en passant par des villages de 10 foyers, les micro-réseaux, les mini-réseaux et les réseaux régionaux…, énumère Hans-Olav Kvalvaag. Ce qui compte, c’est de mettre en place des solutions qui fonctionnent techniquement et financièrement. La Norvège se targue de posséder le système énergétique le plus sophistiqué au monde, mais nous rencontrons les mêmes problématiques qu’en Afrique, bien que ce ne soit pas à la même échelle : la production et la demande ne sont jamais exactement équilibrées. Si nous devions construire un réseau électrique à partir de zéro aujourd’hui en Norvège, il serait très, très différent de ce qu’il est à l’heure actuelle. C’est une opportunité à saisir pour l’Afrique, maintenant que la technologie a progressé. Nous pouvons établir des plans à partir de solutions hors réseau et de mini-réseaux et continuer à les développer par la suite ».

Darron Johnson, responsable des investissements dans la région Afrique chez CFM, une joint-venture détenue par l’organisme gouvernemental néerlandais de prêt pour le développement Nederlandse Financierings-Maatschappij voor Ontwikkelingslanden et la compagnie sud-africaine d’assurance et de services financiers Sanlam Group, se fait l’écho de ce point de vue.

« À aucun moment, Hans-Olav Kvalvaag et moi-même n’avons fait de distinction entre le sur réseau et le hors réseau, assure ce dernier. Lorsque Hans-Olav parle d’une palette de solutions, je pense qu’il fait référence au temps où l’électricité à tout d’abord été fournie par des pâtés de maisons individuels dans la ville de New York. Puis les ingénieurs ont eu l’idée de raccorder tous les blocs entre eux, afin de générer un système plus efficace ».

Darron Johnson ajoute qu’en Afrique, « les besoins en électricité sont tellement importants » que l’on peut se contenter de « suivre la demande »… « Je pense que le mieux serait d’agir comme à New York, à l’aide de mini-réseaux. Ensuite, on pourra commencer à les relier les uns aux autres là où les raccords sembleront évidents », conseille-t-il.

C’est un peu comme sauter l’étape des lignes de téléphones fixes pour passer directement aux portables. 

« C’est ce qui fait la beauté du solaire, n’est-ce pas ?, demande Hans-Olav Kvalvaag. Il est possible d’ajouter des capacités, du simple panneau de 500 W à la centrale de 500 MW, là où vous en avez besoin. Les batteries peuvent, dans une certaine mesure, équilibrer l’offre et la demande en fonction des besoins. Je suis convaincu que c’est la logique que devraient adopter les compagnies d’électricité en Afrique pour bâtir leurs réseaux. C’est un peu comme sauter l’étape des lignes de téléphones fixes pour passer directement aux portables ».

L’idée que l’approvisionnement en électricité en Afrique serait susceptible de « sauter » le modèle classique pour passer directement à un modèle décentralisé est celle que soutiennent les défenseurs des énergies renouvelables depuis un certain temps. Toutefois, certains fournisseurs de systèmes solaires hors réseau sur une base de Pay as you go ont été confrontés à des difficultés et ont fait l’objet de critiques, certaines ayant été accusées de faire signer à des ménages africains des contrats à long terme à des prix inabordables.

En outre, un grand nombre de compagnies africaines d’électricité centralisées ont échoué à combler la fracture électrique. Certaines sont criblées de dettes, tandis que la spéculation continue à aller bon train quant au rôle potentiellement dominant que le solaire hors réseau et les compagnies privées pourraient jouer dans l’avenir énergétique du continent.

Interrogé sur le type de répartition sur réseau/hors réseau qui pourrait être envisagé dans son Nigéria natal au cours de cette décennie, Chigozie Nweke-Eze, consultant, fondateur et PDG de Integrated Africa Power, donne des chiffres. « Je pense qu’à terme, on pourrait arriver à 50/50, ne serait-ce qu’en raison du contexte géographique, explique-t-il en référence aux populations urbaines et rurale d’importance similaire. Les zones urbaines continueront de dépendre des systèmes sur réseau, tandis que les communautés hors réseau recourront à des systèmes décentralisés. Ainsi, il existe un marché pour les entreprises comme Scatec, qui devraient venir analyser ce qu’elles pourraient faire et comment. »

Une répartition 50/50 constituerait déjà un important bond en avant, le site Internet Statista estimant que 70,5 % de l’électricité nigériane provenait l’an dernier du gaz, et 27,3 % de l’hydroélectrique.

Réduire les coûts

Chigozie Nweke-Eze note également l’attrait que présentent les systèmes redéployables, tels que Release, pour les compagnies d’électricité. « De tels produits vont attirer la concurrence, si bien que chacun fera de son mieux pour proposer l’option la moins coûteuse, dit-il. Selon moi, tous auront un rôle à jouer. Je pense que certaines compagnies d’électricité resteront très classiques et continueront de dépendre de l’infrastructure du réseau, tandis que d’autres essayeront de nouvelles solutions, comme l’équipement redéployable, peut-être en attentant une infrastructure réseau. »

« Bien souvent, cela prend beaucoup de temps avant que les infrastructures soient déployées là où elles sont nécessaires. La question est : êtes-vous prêt à attendre qu’il y ait des infrastructures ou voulez-vous commencer à utiliser l’électricité avant leur arrivée ? » Un système modulaire à court terme et facile à déployer pour les compagnies d’électricité : voici ce que Release veut proposer. « Je pense que ces solutions vont durer, et que les infrastructures vont simplement se construire autour », indique Hans-Olav Kvalvaag.

Ce dernier indique ainsi à pv magazine que la commercialisation du produit de l’entreprise au Libéria, au Cameroun et en Ukraine visait à l’origine à renforcer la capacité de production aux endroits où se trouvaient les goulots d’étranglement énergétiques. « Ne pas surdimensionner les lignes de transmission est d’une aide précieuse au réseau, ajoute-t-il. Si vous ne travaillez qu’avec des solutions hors réseau, vous devrez surdimensionner votre capacité de production. Si vous travaillez uniquement avec les réseaux, vous devrez surdimensionner votre capacité de transmission. »

Des actifs redéployables

« Nous voulions une solution mobile et redéployable afin d’être en mesure de nous adapter en cas de complications avec les compagnies et les acheteurs, explique Hans-Olav Kvalvaag. Si les clients ne payent pas l’électricité, nous pouvons récupérer notre matériel. » En d’autres termes, les investisseurs peu désireux de se porter garants d’équipements coûteux pour des compagnies faisant face à des difficultés financières (en particulier dans des contextes politiques instables) seraient davantage prêts à se lancer.

Certaines lignes affichent un flux de courant faible mais sont essentielles à la stabilité du réseau.

D’un autre côté, comme le remarque Chigozie Nweke-Eze, « tout le monde a besoin d’électricité, et personne n’aura envie de voir les installations démontées parce qu’une compagnie n’a pas pu payer. Mais c’est ça le secteur privé : il est motivé par le profit. » « Bien entendu, nous espérons que cela ne sera pas le cas, mais il existe un potentiel de coopération avec le secteur privé dans ce contexte. Des mémorandums d’accords pourraient être signés, lesquels préciseraient qu’en cas de retard de paiement, les entreprises privées devraient attendre avant de démonter leur matériel, afin d’accorder une période tampon. », souligne-t-il.

D’après Darron Johnson, de CFM, la nature mobile du produit signifie qu’il peut être loué en crédit-bail pour un coût bien inférieur à celui de l’achat, revenant ainsi bien moins cher que le financement d’une infrastructure réseau. « Le système Release propose un avantage stratégique [aux compagnies d’électricité] en adaptant sur mesure le modèle de financement aux demandes des acheteurs, au lieu de se focaliser sur la durée de vie de l’actif, déclare-t-il. Le modèle du leasing offre de la souplesse en termes de structure d’achat. À l’inverse, l’approche classique prévoit le financement d’une infrastructure fixe sur les 20 années de sa durée de vie, une perspective qui pose problème à la fois aux compagnies d’électricité et aux financiers. »

Modèle commercial

Les financements privés peuvent contribuer à soutenir des infrastructures plus larges nécessaires pour étayer les réseaux. « La vraie question est de savoir le prix que vous accordez au service d’une ligne de transmission, note Darron Johnson. Certaines lignes affichent un flux de courant faible mais sont essentielles à la stabilité du réseau. Une telle ligne est difficile à financer. On peut la comparer à une autoroute à péage : elle sera peu empruntée au quotidien, mais si la route principale vient à être embouteillée, alors elle sera bondée. »

« Par exemple, si vous suivez le modèle PFI [private finance initiative, initiative de financement privé], largement utilisé au Royaume-Uni, une ligne est financée par une commission de service, des frais d’utilisation, ou un mélange des deux. Cela fonctionne lorsqu’un générateur est connecté aux clients avec une charge similaire à ce qui est produit, mais dès lors que vous commencez à ajouter d’autres éléments comme des interconnecteurs, les choses se compliquent considérablement. »

Pour le consultant Chigozie Nweke-Eze, le fait que Release puisse être démonté à brève échéance signifie que les gouvernements doivent intervenir. « Est-ce qu’on veut laisser le champ libre au secteur privé ?, s’interroge-t-il. Sans aucune réglementation ? Non, et c’est là que les pouvoirs publics doivent intervenir, pour réglementer et s’assurer que les consommateurs finaux ne se font pas arnaquer. Ils peuvent aussi veiller à ce que les compagnies privées ne fassent pas des bénéfices démesurés. »

Une solution temporaire

Par ailleurs, si Release est aussi facile à installer, bon marché et efficace que l’affirment ses développeurs, on peut craindre que les compagnies d’électricité se reposent sur ces systèmes temporaires en leasing au lieu d’investir suffisamment dans l’élargissement de leur réseau pour parvenir à un mix énergétique 50/50 entre sur réseau et hors réseau. « Les compagnies qui investissent dans des connexions à grande échelle proposeront des prix unitaires [de l’électricité] moins élevés, soutient Chigozie Nweke-Eze. Quand ce sera le cas, le marché parlera de lui-même. Les clients opteront toujours pour la solution la moins chère, et sur ce point, nous pouvons nous en remettre au marché. »

Darron Johnson doute lui aussi que les compagnies d’électricité d’état abandonnent la production centralisée.  « Je ne pense pas que les gouvernements et les compagnies raisonneront de cette façon, dit-il. Nous observons que la majeure partie des solutions Release sont orientées vers les compagnies d’électricité, ce qui signifie qu’elles seront connectées au réseau. Nous ne ciblons pas uniquement les entreprises et les industries, même si nous les équiperons car cela présente des avantages sur le plan environnemental. Je ne crois pas que les compagnies d’électricité vont abandonner leurs plans et s’en remettre entièrement au secteur privé. En fait, elles ont plutôt tendance à vouloir surréglementer. »

Il ajoute que les compagnies d’électricité n’ont pas l’intention d’échapper à leurs responsabilités. « La question est de savoir comment elles comptent tenir ce rôle, conclut-il. Simplement, si elles essayent de tout faire seules, cela va ralentir l’ensemble du processus. »

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