L’affirmation selon laquelle le photovoltaïque ne serait pas pertinent en France, car il se substitue à une énergie décarbonée, revient régulièrement dans le débat public. Pourtant, cette information est erronée, voici pourquoi.
Le photovoltaïque remplace majoritairement l’électricité fossile
Au vu du bouquet électrique français actuel, une méthodologie communément reprise consiste à considérer que le photovoltaïque se substitue à une production moyenne française, c’est-à-dire à une électricité majoritairement nucléaire. Or, le système électrique ne fonctionne pas de cette manière. Les EnR se substituent en priorité aux énergies les plus coûteuses pour le système que sont le gaz et le charbon (on parle de merit order). Elles ne remplacent le nucléaire que lorsque le gaz et le charbon ont déjà été entièrement substitués, ou que l’on souhaite économiser du combustible nucléaire. Or, cela est relativement rare, y compris en été et au printemps ou cela peut concerner certains week-ends où la consommation est basse et la production EnR forte.
Par ailleurs, même lorsque les centrales à gaz ou à charbon ne fonctionnent pas en France, une grande partie de notre production électrique est exportée dans des pays utilisant massivement les énergies fossiles, et contribue donc à la diminution de leur utilisation dans ces pays. Cela est bénéfique pour la lutte contre le changement climatique, car celui-ci est un phénomène planétaire, que les émissions soient évitées en France ou en Allemagne, le résultat est le même pour le climat.
Pour obtenir une évaluation de l’impact de l’électricité verte sur les bouquets européen et français, RTE a simulé le comportement du système électrique sur l’année 2019 en retirant l’éolien et le photovoltaïque installés en France. Le résultat a montré que ces capacités renouvelables ont permis d’éviter l’émission de 22 millions de tonnes de CO2 (17 via les exportations, 5 sur le territoire national) pour 45 TWh produits, soit environ 490 gCO2 évitées/kWh.
Les EnR remplacent et remplaceront majoritairement du fossile, que ce soit maintenant, dans la décennie en cours, ou dans les décennies à venir. Toutefois, plus celles-ci seront présentes dans le réseau, plus elles pourront remplacer une production nucléaire décarbonée à certains moments (certes minoritaires) de faible consommation et forte production EnR. Aujourd’hui, ce phénomène est quasi inexistant selon RTE, mais pourrait survenir plus souvent en France dans les 12 prochaines années. Dans son dernier Bilan prévisionnel, RTE prévoit ainsi une modulation de 15 TWh/an liée à la baisse des prix du marché provoquée par les EnR entre 2030 et 2035. Comparée à la production éolienne et photovoltaïque qui serait aux alentours de 200 TWh/an en 2035, cette modulation reste faible et présente une grande utilité pour le réseau.
De même, nos exports éviteront à l’avenir moins de charbon et davantage de gaz, ce qui limitera là aussi les bénéfices sur le CO2, le charbon étant beaucoup plus émetteur que le gaz. Selon notre méthodologie en résulterait une baisse des émissions évitées par kWh. Celle-ci a été calculée par Artelys dans une étude de France territoire solaire qui estimait ainsi au minimum à 270 gCO2/kWh les émissions de CO2 brutes évitées à horizon 2030 par du photovoltaïque.
Le temps de retour carbone du solaire est plus proche des 3 ans que des 30 ans
Les différences de méthodologie pour le calcul du temps de retour carbone d’une énergie peuvent faire ce résultat sur des ordres de grandeur impressionnants, en considérant par exemple que le photovoltaïque français remplace un mix moyen français – dis autrement cela voudrait dire que chaque kWh de PV injecté sur le réseau remplace 70 % de nucléaire, 10 % d’hydroélectricité, 10 % d’éolien et de PV, 10 % de thermique fossile et d’exports/imports.
Par ailleurs, l’empreinte carbone du photovoltaïque peut là aussi faire varier le temps de retour carbone. Celle-ci peut fortement varier en fonction de la période à laquelle a été faite l’étude. En 2015, l’empreinte carbone d’une installation basée sur des modules chinois monocristallins, aujourd’hui majoritaire sur le marché, pouvait atteindre 2 tCO2/kWc, celle-ci a quasiment baissé à 1 tCO2/kWc en 2020.
En intégrant les données actualisée et le principe du merit order, on trouve donc un temps de retour carbone du photovoltaïque de 2 à 3,5 ans. C’est-à-dire qu’il faut au maximum, en prenant des hypothèses très pessimistes, 3,5 années pour rembourser la dette CO2 d’un panneau solaire en exercice en France aujourd’hui.
Détail des calculs :
- Sur sa durée de vie, une installation photovoltaïque émettait entre 1 et 1,1 tCO2/kWc en 2020 (source : Updated sustainability status of crystalline silicon-based photovoltaic systems : Life-cycle energy and environmental impact reduction trends). Ce chiffre est en diminution constante depuis 30 ans et continuera très probablement de le faire pendant la décennie en cours.
- En France, 1 kW produit environ 1 150 kWhe/an, cet ordre de grandeur est vérifiable en simulant une installation sur PVGIS [https://re.jrc.ec.europa.eu/pvg_tools/fr/#PVP]dans la région de Lyon, qui correspond à l’ensoleillement moyen en France.
- Par ailleurs en 2019, on évitait environ 490 gCO2/kWhe photovoltaïque. En 2030, en prenant les chiffres de l’étude de France Territoire Solaire, les émissions évitées sont plus faibles, de l’ordre de 270 gCO2/kWe
- Dans ses premières années, notre installation de 1 kW évite environ 1150 * 490 = 560 kgCO2/an. En prenant un chiffre pessimiste à horizon 2030, les émissions évitées sont plutôt de l’ordre de 1150*270 = 310 kgCO2/an
Pour calculer le temps de retour carbone, il faut diviser les émissions émises sur la durée de vie du système par celles évitées chaque année, dans le scénario le plus optimiste on est ainsi autour de 1100 / 560 = 2 ans, en prenant un chiffre pessimiste des émissions évitées à 2030n, on est autour de 1100 / 310 = 3,5 ans.
Dépasser la réflexion en impact et temps de retour carbone
La méthode présentée ci-dessus présente toutefois certaines limites. Par exemple, le chiffre de RTE de 22 millions de tonnes évitées est considéré pour l’éolien ET le photovoltaïque, non pour le photovoltaïque seul. La courbe de production étant différente, il est possible que les émissions évitées le soient aussi, potentiellement en défaveur du photovoltaïque. Mais malgré ces incertitudes, cette approche prend en compte la réalité du fonctionnement du système électrique et du merit order.
Il est important de produire en France… mais le critère carbone n’est pas l’enjeu. Qu’il soit produit en Chine ou en France, le PV reste très intéressant au niveau climatique dans n’importe quelle ville de France, même Lille ! De plus, la question du réchauffement climatique n’entend pas de limite géographique : s’il est difficile de raisonner à l’échelle mondiale, on peut tout du moins s’accorder à réfléchir à l’échelle européenne dans un contexte d’interconnexion et de marché de gros de l’électricité.
A PROPOS DE L’AUTEUR
Damien Salel est expert photovoltaïque et intégration des EnR réseaux.
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Merci beaucoup pour cette étude sur le PV, maintenant s’l vous était possible de faire un calcul d’empreintes carbone sur les pompes à chaleur cela me réconforterait dans ma prise de position sur le sujet..
Bien à vous
Bonjour,
Trés intéressant, merci. Il y a aussi des limites de transfert d’électricité aux frontières, ce qui rend le calcul un peu plus compliqué. Si le PV est relativement faible, ces limites ne sont pas importants mais quand on arrive à des capacités plus importantes, les capacités d’échange deviennent un facteur limitant.
J’avais écrit un article similaire en anglais pour votre info. https://gemenergyanalytics.substack.com/p/where-to-put-solar-for-maximal-emissions
Cordialement