Pouvez-vous nous en dire davantage sur la future batterie stationnaire qui va voir le jour à Saint-Avold ?
Louis Poulain, responsable de l’activité stockage pour Q Energy en France : Le projet entre dans le cadre de la décarbonation de la centrale électrique Emile Huchet, opérée par GazelEnergie. Nous allons y installer un système de stockage d’énergie (BESS) d’une puissance de 35 MW, pour une capacité de stockage de 44 MWh.
Cette batterie, qui sera parmi les plus puissantes en France, est lauréate de l’appel d’offres long terme (AOLT) 2022-2028 de RTE, lors duquel Q Energy (RES à l’époque) avait remporté deux contrats de 24 MW.
Quelle chimie de batterie a été choisie ?
Nous avons sélectionné l’entreprise chinoise Narada Power Source, qui nous fournit 24 conteneurs de 20 pieds d’un peu plus de 2 MWh chacun. Ils présentent l’une des plus fortes densités énergétiques du marché et utilisent la technologie LFP (Lithium-fer-phosphate). Cette chimie est notamment plus stable que les batteries NMC (nickel manganèse cobalt) et donc moins exposée aux risques d’incendie. La chaîne d’approvisionnement est aussi éthiquement plus responsable, du fait de l’absence de cobalt.
Et pour le raccordement ?
Notre deuxième fournisseur est Omexon, filiale de Vinci, qui se charge de la partie chaînes de conversion et du raccordement au poste HTB (haute tension). La particularité est que cette batterie est raccordée directement au réseau de transport RTE.
D’ailleurs, sur les 400 MW de stockage stationnaire que nous développons aujourd’hui en France et qui devraient être mis en service d’ici à 2028, l’immense majorité sera raccordée au réseau RTE. Il s’agira de sites de 30, 50 et 100 MW de capacité unitaire.
Doit-on en déduire que le marché s’achemine vers des centrales de stockage seules de plus en plus puissantes ?
Ce que l’on constate, c’est que la mise en service des BESS s’accélère en France. Les premiers projets datent de 2019 et en quatre ans, plus de 600 MW ont été déployés. Dans un avenir très proche, le marché va croître vers un rythme de 300 à 500 MW installés chaque année.
C’est pourquoi Q Energy a fait le pari de cette technologie et entend mettre en service 50 MW en France l’année prochaine, puis 100 MW en 2025. Pour cela, l’entreprise a mis sur pied une équipe dédiée au stockage stationnaire. En France, nous sommes cinq spécialistes, aidés d’une vingtaine de fonctions supports.
Le stockage est une activité complexe, très différente du développement de projets de production EnR. Il nécessite des compétences techniques et une expertise des marchés de l’électricité plus diverses, son modèle économique reposant sur l’empilement de revenus issus de multiples sources, comme les services réseau et le trading.
C’est-à-dire ?
Le stockage est encore très coûteux et la meilleure façon de le rentabiliser est de se positionner constamment sur le revenu le plus rémunérateur à un temps T. Nous avons pour cela plusieurs leviers.
Le premier d’entre eux est la fourniture de services système fréquence, qui sont rémunérés par RTE sur la base d’enchères journalières. Depuis 2019, les batteries participent ainsi à la réserve primaire et contribuent à stabiliser le réseau en maintenant sa fréquence autour de 50 Hz. Pour ce faire, elles compensent les légers déséquilibres permanents entre la production et la consommation en injectant ou en soutirant de l’électricité en quelques centaines de millisecondes, temps de réponse qu’elles sont le plus à même de proposer grâce à leur électronique de puissance.
A partir de 2024, nous nous positionnerons également sur la réserve secondaire, qui va s’ouvrir et qui vise à compenser les variations de fréquence dans un délai de quelques minutes. Ces deux services système constitueront la majorité de nos revenus dans les premières années.
Puis, ceux-ci seront complétés par l’arbitrage marché, qui est amené à croître dans les prochaines années. En effet, à mesure que les énergies renouvelables progressent dans le mix de production, elles amènent de la volatilité sur les marchés. On voit de plus en plus la formation de prix négatifs, en particulier quand il y a beaucoup de production éolienne et/ou solaire et que la consommation est faible. C’est ce que l’on nomme l’effet de cannibalisation. Les batteries permettront donc de limiter ce phénomène en achetant de l’électricité quand elle n’est pas chère (quand la production renouvelable est en excès par rapport à la demande) pour la revendre au moment où elle est chère, c’est-à-dire quand les consommateurs en ont besoin. Non seulement nous nous rémunérons sur la différence mais ce trading permet aussi de lisser les prix de l’électricité sur la durée.
Qu’en est-il de la compétitivité ? Est-ce que l’effet d’échelle va faire baisser le coût du stockage ?
La compétitivité est un enjeu stratégique et un prérequis pour permettre le déploiement en masse du marché du stockage dont nous avons besoin pour mener à bien la transition énergétique. Pour l’heure, nous sommes sur un rythme de baisse des coûts d’environ 10 % par an. Ils vont continuer à baisser dans les prochaines années, tirés par les volumes de véhicules électriques et les avancées technologiques, telles que les progrès sur la densité énergétique. On le voit par exemple dans le cas de la batterie de 44 MWh de Saint-Avold. Le projet s’est monté au moment de la hausse des Capex, dans un contexte d’inflation sur les matériaux et de tension sur les chaînes d’approvisionnement. Pourtant, elle fait partie des batteries les plus compétitives en cours de construction actuellement en France.
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