L’Afrique sera-t-elle la laissée pour compte de la course aux énergies renouvelables ?

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D’après pv magazine International

D’après le rapport « Renewables 2022 » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’Afrique est à l’aube d’une révolution énergétique solaire, la capacité de production de 7 GW du continent étant amenée à atteindre pas moins de 25 GW en 2027.

Voilà pour la bonne nouvelle. Malheureusement, l’AIE n’est pas en mesure d’étayer ses projections enthousiastes. S’agit-il de prévisions crédibles, ou le continent risque-t-il d’être le dernier à continuer à dépendre des combustibles fossiles ?

Terje Osmundsen, co-fondateur et PDG de Empower New Energy.

Image : Empower New Energy

L’Agence internationale de l’énergie estime que l’Afrique a installé entre 1,9 GW et 3,3 GW de capacité solaire l’année dernière, soit environ 0,9 % du chiffre mondial, évalué entre 210 GW et 240 GW. Si ces chiffres sont exacts, il s’agirait là d’une année de référence pour l’Afrique. Mais à quel point les estimations de l’AIE sont-elles fiables ?

L’Association de l’industrie solaire en Afrique (AFSIA), une association professionnelle, estime quant à elle que le continent est passé de 1,8 GW de solaire supplémentaire installé en 2019 à seulement 700 MW en 2021, un chiffre qui représente environ 0,41 % des 168 GW installés dans le monde il y a deux ans. L’AFSIA évalue à 900 MW la capacité de solaire supplémentaire installée en Afrique l’année dernière. C’est moins de la moitié du volume annoncé par l’AIE, et moins de 0,4 % du chiffre mondial.

Par comparaison, l’UE aurait installé plus de 41 GW l’année dernière, près de 50 fois plus que les estimations de l’AFSIA pour l’Afrique.

Ces données s’inscrivent dans un schéma plus large et alarmant pointé du doigt par Bloomberg New Energy dans son rapport « Scaling-Up Renewable Energy in Africa ». Alors que l’équivalent de 400 milliards d’euros d’investissements ont été réalisés dans les énergies renouvelables à l’échelle mondiale en 2021 (un record absolu), l’Afrique n’a pas attiré plus de 2,4 milliards d’euros, soit moins de 0,6 % du total, tombant ainsi, en glissement annuel, à son plus bas niveau depuis 2011. L’Afrique possèderait pourtant environ 60 % des ressources mondiales en énergie solaire (ainsi qu’un potentiel hydraulique, éolien et de bioénergie considérable) pour 17 % de la population mondiale.

Dure réalité

Il y a quelque chose de rassurant à lire que l’AIE prévoit l’expansion de 250 % des installations solaires africaines dans les cinq années à venir, poussée par les craintes en matière de sécurité énergétique et les objectifs de décarbonation dans les grandes économies, qui alimentent le boom mondial des énergies propres. Mais en réalité, il y a beaucoup à faire sur le terrain pour attirer les 3,69 à 4,61 milliards d’euros annuels nécessaires pour atteindre ce jalon. Si les gouvernements et les autres acteurs ne parviennent pas à surmonter les obstacles qui tiennent les investisseurs loin du continent, l’Afrique continuera à se faire distancer dans la courses aux investissements solaires par les États-Unis, l’Europe, la Chine et l’Inde, comme cela a été le cas ces deux dernières années.

Si l’on regarde les statistiques de l’AIE, on constate que l’Égypte et l’Afrique du Sud concentrent environ 60 % de la capacité de production solaire de l’Afrique, essentiellement grâce à l’immense parc solaire de Benban dans la région d’Assouan en Égypte, et au programme d’approvisionnement des producteurs indépendants d’énergie renouvelable (REIPPPP) d’Afrique du Sud.

D’après l’AIE, ces deux États (avec le Maroc, le Nigéria, le Kenya et l’Éthiopie) passeront de 5 GW de solaire actuels à 20 GW en 2027, tandis que les autres pays d’Afrique, qui se partagent actuellement seulement 1,5 GW, en totaliseront 12 GW.

Les obstacles

Pourquoi est-il si difficile d’augmenter les investissements dans le solaire en Afrique ? On peut classer les obstacles en trois catégories : le poids excessif de la dette, les crises monétaires et la réglementation.

La plupart des projets de solaire et d’éolien à grande échelle prévus en Afrique ces derniers temps restent au point mort, en attente de garanties de paiement soutenues par le gouvernement pour produire de l’électricité. Investisseurs comme prêteurs exigent ce genre d’assurance, les compagnies d’électricité africaines étant criblées de dettes ; toutefois, bon nombre de gouvernements se trouvent eux aussi dans une mauvaise passe, de sorte qu’ils ne peuvent accorder de garanties de paiement.

La récession mondiale que l’on attendait à la suite de la pandémie de Covid-19 a été suivie par une flambée des taux d’intérêt sur la dette détenue par des gouvernements fortement endettés ; l’augmentation des factures énergétiques entraînée par la guerre en Ukraine ; et une chute spectaculaire de la valeur des monnaies locales par rapport au dollar. Là encore, l’Afrique a été la plus durement touchée. La dette publique a doublé sur le continent, passant de 32,7 % du PIB en 2010 à 65 % l’année dernière, et la Banque mondiale estime que la plupart des pays africains subiront une augmentation de 30 à 40 % de leurs charges d’intérêt annuelles. D’après David Malpass, président de la Banque mondiale, « l’augmentation de la pression sur la liquidité va de pair avec les difficultés en matière de solvabilité ».

Devises

L’année dernière, une brusque appréciation du dollar face aux devises africaines a plongé les gouvernements ainsi que les acheteurs privés d’énergie dans un marasme plus profond encore. Ainsi, la livre égyptienne et le cedi ghanéen ont chuté d’environ 70 % par rapport au dollar l’an dernier. Si, au Nigéria, le coût du dollar est officiellement de 450 nairas à l’heure actuelle, le prix payé « réellement » était approximativement de 550 nairas au début de l’année, et d’environ 800 nairas aujourd’hui.
Les nations plus riches peuvent surmonter les fluctuations des devises en se tournant vers des investisseurs locaux, mais l’Afrique dépend entièrement des liquidités étrangères. Les investisseurs internationaux ne s’intéressent qu’aux recettes en dollars ou en euros ; sinon, le coût du capital serait prohibitif et imprévisible.

Si le solaire commercial et industriel présente le plus important potentiel inexploité pour ce qui est du PV africain, il est freiné par la réglementation et les subventions accordées aux énergies fossiles. Dans la plupart des pays d’Afrique, les entreprises ne sont pas autorisées à acheter de l’énergie solaire auprès d’installations privées de production, par l’intermédiaire de contrats d’achat d’énergie, mais doivent au contraire recourir à des accords contractuels moins souples, tels que des contrats de location de matériel.

Régime de facturation nette

L’absence d’accords de facturation nette (ou net-metering) pour acheter aux producteurs d’énergie solaire l’excédent d’électricité qu’ils injectent dans le réseau constitue un autre frein à l’investissement dans le PV.

En outre, le nombre élevé de gouvernements qui continuent à subventionner les combustibles fossiles en maintenant artificiellement bas les tarifs de l’électricité n’incite pas du tout à promouvoir le solaire. En Égypte par exemple, le diesel coûte environ 7,20 EGP (0,22 €) le litre, environ 20 % des prix européens.

L’Afrique dispose clairement du potentiel pour une croissance accélérée des énergies renouvelables, comme le prévoit l’AIE. Toutefois, si les gouvernements et les partenaires internationaux ne font rien pour supprimer les feins aux investissements, le continent restera à la traîne. C’est un risque que nous ne pouvons nous permettre de prendre si nous voulons atteindre zéro émission nette à l’échelle mondiale.

Les solutions

Alors, que faut-il faire ?

Réforme énergétique, restructuration de la dette et stabilité monétaire sont certes indispensables, mais ce sont les incitations par les prix, fondées sur le marché, en faveur du solaire et des batteries qui feraient une vraie différence. Celles-ci peuvent revêtir la forme d’une taxe carbone, ou encore de crédits carbone échangeables pour les producteurs d’électricité propre, et contribueraient à aider les gros consommateurs d’énergie et les micro-réseaux qui dépendent actuellement du diesel.

La compensation des émissions de carbone, qui consiste à faire payer les gros pollueurs pour compenser leur empreinte carbone et ainsi financer le solaire décentralisé en Afrique, est une autre option. Ce genre de mesure pourrait débloquer un marché pour que l’hydrogène vert africain alimente, en parallèle avec des piles à combustible, des micro-réseaux et une industrie gourmande en énergie, et ainsi mettre en selle un renouveau économique africain fondé sur des énergies propres.

À propos de l’auteur : Terje Osmundsen est l’un des co-fondateurs et le PDG de Empower New Energy, une société d’investissement dans le solaire plus stockage commercial et industriel. Installée à Oslo, l’entreprise concentre ses efforts sur l’installation de petites et moyennes installations en Afrique.

Traduction assurée par Christelle Taureau. 

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