M. Canton, vous avez lu le projet de décret rendu public le 3 juin et qui précise dans quelles conditions les nouveaux tarifs seront communiqués aux producteurs. Que vous évoque le texte ?
Tout d’abord, il faut souligner que, dans ses grandes lignes, le décret est une traduction assez fidèle de l’article 225 de la Loi de finances 2021. Il vise ainsi à baisser les tarifs fixés par les arrêtés du 10 juillet 2006, 12 janvier 2010 et 31 août 2010, pour les installations d’une puissance crête de plus de 250 kWc. Le texte revient dans son article premier sur la notion centrale de « rémunération raisonnable » (des capitaux immobilisés), qui devrait être appréciée, notamment, « en tenant compte des conditions de financement observées à la date de mise en service de l’installations pour des projets exposés à des risques comparables, ainsi que d’éventuels risques supplémentaires inhérents au territoire d’implantation de l’installation ». Le projet de décret définit ensuite la nature des paramètres qui seront pris en compte dans le calcul du ou des nouveaux tarifs, dont les conditions de fonctionnement de l’installation (localisation, date de mise en service, positionnement en toiture ou au sol…)
Le projet de décret prévoit que les producteurs doivent être informés individuellement, par arrêté conjoint des ministères de l’énergie et du budget et pour chaque installation, du nouveau niveau de tarif envisagé et des éléments de calcul retenus pour fixer ce dernier (en particulier les coûts d’investissements et d’exploitation, le productible et le rendement applicable à l’installation). Ils disposent alors, je cite l’article 3 du projet de décret, « d’un délai de 15 jours ouvrés à compter de la date de réception de cette lettre recommandée pour transmettre, par voie électronique, à la Commission de régulation de l’énergie, les observations éventuelles relatives à la nature des paramètres mentionnés à l’article 2 pris en compte, à des fins de rectification ». Ces observations devront être appuyées par les justificatifs nécessaires.
Cela fait donc trois semaines, un délai très court accordé aux producteurs…
C’est l’un des premiers aspects qui m’a interpelé à la lecture du décret : cette première voie de recours, que l’on peut en quelque sorte assimiler à un recours « amiable », est en réalité très étroite, ne laissant que peu de temps aux producteurs pour préparer et adresser leur dossier à la Commission de régulation de l’énergie. Dans ce temps imparti, il faudra en effet décortiquer les critères retenus par les ministères, formuler des observations et réunir et adresser des justificatifs pour contester les chiffres et les données fournis… Pour une entreprise qui dispose de nombreux actifs concernés, cela représente une charge de travail conséquente qui, compte tenu des délais annoncés pour la publication et l’application des projets de textes, risque qui plus est de devoir être assumée pendant la période estivale.
Le texte précise ensuite qu’une fois ce délai échu – faudrait-il comprendre par-là que la procédure de contestation toute entière doit tenir dans ces 15 jours ouvrés, de sorte que les producteurs seraient tenus d’adresser au plus vite leur contestation et les justificatifs afférents ? – les ministres chargés de l’énergie et du budget notifient par lettre recommandée avec avis de réception le niveau du tarif qui est retenu.
Si le producteur n’est toujours pas satisfait des nouveaux niveaux de prix et juge qu’ils menacent la viabilité de son entreprise ou de son actif, quelles sont les voies de recours suivantes ?
C’est là qu’intervient, tout d’abord, la clause dite « de sauvegarde » (article 6 du projet de décret) qui doit, en principe, préserver la viabilité économique des producteurs visés par la mesure. C’est celle-là même qui a conduit le Conseil constitutionnel à rejeter le recours formé contre l’article 225 de la Loi de finances. Les producteurs ont ainsi la possibilité de faire « une demande de réexamen de la situation » devant la Commission de régulation de l’énergie (CRE). L’application du nouveau tarif est alors suspendue à compter de la date de réception par la CRE pour une période qui ne peut excéder 16 mois. Le producteur reçoit à l’issue de ce délai une notification définitive de refus ou une modification du niveau de tarif ou de la date résultant de l’application du premier alinéa de l’article 225 de la loi du 29 décembre 2020 susvisée, et, le cas échéant, d’un allongement de la durée du contrat. Point d’attention : la durée totale de cette procédure peut être supérieure à 20 mois, soit plus que la période de suspension !
Les producteurs auront également la possibilité de contester la légalité du décret ou de l’arrêté lui-même devant les juridictions administratives. On pourrait alors retrouver des moyens de légalité « classiques », appuyés sur de grands principes de notre droit comme la liberté contractuelle, la liberté du commerce et de l’industrie, ou encore le droit de propriété… Mais de manière générale, ces grands principes ne sont pas absolus et peuvent faire l’objet de limitations.
Quels peuvent être dans ce cas les arguments avancés par les producteurs ?
Il ne faut pas oublier que, dans la majorité des cas, les actifs ont été cédés, une, voire plusieurs fois, et c’est un argument fort qu’il faudra défendre devant les juridictions, que ce soit dans le cadre d’une contestation de la légalité du décret ou de l’arrêté ou de la procédure de réexamen au cas par cas. La marge a déjà été absorbée, et les propriétaires actuels n’ont pas bénéficié de la rentabilité, soi-disant excessive, que cible l’article de la Loi de Finances, ce qui pourrait logiquement limiter la réduction tarifaire.
De plus, selon les associations professionnelles associées aux discussions en cours, l’application d’un tel projet de décret, s’il était confirmé, pourrait se traduire pour les producteurs par des baisses de revenus inédites, de 55 % en moyenne et pouvant aller jusqu’à 95 %.
S’il est vrai que l’Etat, en invoquant un « motif d’intérêt général », à savoir ici une meilleure gestion des finances publiques, peut remettre en cause des contrats et imposer des réductions de prix, ces réductions ne doivent pas s’assimiler à une spoliation. Dans ce cas, en dernier recours, il peut y avoir un angle d’attaque pour intenter une action en responsabilité extracontractuelle contre l’Etat, en sachant néanmoins que la jurisprudence offre assez peu d’exemples semblables, ce qui rend l’issue de la démarche incertaine.
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