Un amendement qui met en péril un marché jusqu’alors attractif, pour Augusta & Co

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pv magazine : D’abord une question liée à l’actualité : comment appréhendez-vous l’amendement relatif à une baisse rétroactive des tarifs d’achat pour certains contrats avant 2010 ?

Romane Guitard : Nous sommes en contact avec nos investisseurs, nous interrogeons nos clients. Aujourd’hui, certes c’est un petit nombre de projets qui sont impactés par l’amendement, mais cet amendement rétroactif risque d’avoir des répercussions sur l’ensemble du secteur.

Notre analyse est différente du ton actuel du marché, et c’est sûrement dû au fait que nous sommes en rapport constant avec les investisseurs et les prêteurs.

Notre inquiétude sur cet amendement concerne plus particulièrement l’impact à moyen terme sur les investissements dans le secteur, au travers de l’impact sur les termes de financements des préteurs et sur la confiance des investisseurs dans le système réglementaire français. Ces projets sont distribués assez largement au niveau des développeurs, des investisseurs et des prêteurs, et une grande majorité d’acteurs clés en France ont certains de ces projets dans leur portefeuille et seront impactés.

Le risque principal est une remise en cause de la confiance que les investisseurs ont dans le cadre réglementaire français et sa stabilité. Aujourd’hui la France est une des juridictions ENR les plus attractives en Europe, avec des taux d’intérêts faibles, une législation stable, et jusqu’alors une concurrence forte entre tous les acteurs permettant au secteur de profiter de conditions exceptionnelles pour continuer à se développer.

Cet amendement est une remise en question des rendement que les investisseurs avaient sécurisés pour couvrir des risques initialement élevés et rembourser des couts de projets très importants à l’époque.

pv magazine : Mais il avait déjà eu un coup de semonce avec le moratoire en 2010 ?

Romane Guitard : Oui, c’est la deuxième fois et cela ne fait qu’aggraver les dommages sur la réputation du pays et la confiance des investisseurs. La question que le marché se pose est comment s’assurer que le reste du secteur solaire ou même le secteur de l’éolien ne subissent pas les même revers dans quelques mois ou années ? De tels changements pourraient-ils aussi concerner d’autres projets par la suite ou les nouvelles technologies en développement, qui ont particulièrement besoin de ce soutien de l’état et de confiance ? L’hydrogène par exemple est une technologie encore précoce dont les coûts en Capex seront amenés à baisser substantiellement. Sans oublier que les investisseurs peuvent avoir le sentiment que ce qui se passe aujourd’hui sur le solaire pourrait aussi arriver sur d’autres sujets…

pv magazine : Comment voyez-vous le secteur en France actuellement sur le plan des investissements ?

Romane Guitard : Aujourd’hui il y a une compétition extrêmement forte des investisseurs pour le secteur des ENR en France avec des acteurs particulièrement agressifs dans les processus de fusion-acquisition lorsqu’il s’agit de s’établir en France. Nous voyons beaucoup d’investisseurs français mais aussi une forte demande des investisseurs internationaux qui cherchent à grossir leur présence dans une des rares juridictions bénéficiant encore de revenus sécurisés. Et cet appétit s’est renforcé dans le contexte de marché volatile actuel. Les processus de vente d’actifs ou de pipelines et plateformes de développement sont extrêmement concurrentiels en France. Avec des taux de rentabilité extrêmement bas sur les actifs opérationnels, les investisseurs ne peuvent plus atteindre les retours dont ils ont besoin et se tournent de plus en plus vers les projets en développement. Il y a deux à trois ans nous voyions 70% d’investisseurs stratégiques qui se positionnaient sur les projets en développement, maintenant nous voyons plus de 60% d’acteurs financiers prêts apprendre de nouveaux risques pour se positionner face à la concurrence.

La France a un positionnement assez particulier avec d’un côté un marché très fragmenté avec beaucoup de petits projets et peu d’économies d’échelle, et de l’autre le bénéfice de tarifs d’achat à 20 ans inflatés devenu rare en Europe, constituant un avantage compétitif non-négligeable par rapport aux pays nordiques où l’Espagne, où ces contrats ont quasiment disparus.

Le développeur français qui veut aujourd’hui valoriser au mieux son entreprise pour une augmentation de capital ou une vente doit désormais se poser la question de comment défendre au mieux la valeur future de son entreprise pour profiter au maximum de cette concurrence ? Ce n’est pas parce qu’on est un développeur avec un gros pipeline de projets et peu de valeur tangible, qu’il n’existe pas un potentiel important de valeur future. Il est notamment important de réussir à convaincre les investisseurs du track-record de l’équipe afin de vendre un taux de conversion de son pipeline de projets élevé, c’est-à-dire une forte probabilité à transformer les projets en actifs opérationnels.

pv magazine : Et les Corporate PPA, pourquoi en voit-on moins en France qu’ailleurs ?

Romane Guitard : La réponse la plus basique est parce que le marché n’en a pas encore besoin ! Aujourd’hui les Corporate PPA en France se négocient à des prix qui sont en dessous des prix de clôture des appels d’offres. Il y a deux types de contrats signés aujourd’hui sur le marché des Corporate PPA, des contrats court-terme pour les projets qui sont en fin d’obligation d’achat et des contrats long-terme dans le cadre de projets « greenfield ».

La première catégorie concerne les producteurs qui souhaitent couvrir leur rentabilité post obligation d’achat sur un an, deux ans, trois ans uniquement, soit parce qu’ils sont en fin de vie d’un projet soit parce qu’ils envisagent un repowering et veulent sécuriser leur marge sur une période temporaire.

Concernant les PPA à long terme sur les projets « greenfield », nous en avons vu surtout sur les projets solaires qui n’étaient pas éligibles aux appels d’offres. Le développement de ce type de PPA reste limité, puisqu’un développeur peut souvent sécuriser des revenus plus élevés sur un appel d’offres avec un tarif autour de 60€/MWh, contre 40 à 45 €/MWh pour CPPA actuellement, même si le dossier est plus complexe à monter.

Quant à la motivation des acheteurs autour d’un objectif de réduction d’émissions carbonées, cela reste rare en France avec un mix énergétique français déjà largement décarboné grâce au nucléaire…

 

Romane Guitard, est directrice depuis 2019 chez Augusta &Co, société financière basée à Londres, fondée en 2002. Augusta & Co c’est 12 milliards d’euros et une centaine de transactions réalisées dans le secteur des énergies renouvelables depuis sa création. Augusta & Co a notamment participé en France au rachat en 2019 de plus de 50 MWc de projets solaires par Tenergie.

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