Dans la dernière interview du thème trimestriel de pv magazine « UP-initiative, circular manufacturing », pv magazine s’est entretenu avec David Pelletier et Luc Federzoni du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), organisme public de recherche français. David Pelletier est chef de projet au sein de l’organisation CEA-INES, comprenant l’Institut National de l’Énergie Solaire, et Luc Federzoni est en charge des programmes stratégiques du CEA.
Les deux professionnels ont discuté du projet soutenu par l’UE intitulé « Mise en œuvre d’une économie circulaire basée sur le recyclage, la réutilisation et la récupération de l’indium, du silicium et de l’argent pour les applications photovoltaïques et autres » (Cabriss en abrégé) qui s’est déroulé de 2015 à 2018 avec l’assistance de l’organisme de recherche européen Horizon 2020. L’interview complète l’article « Making solar sizzle » paru dans l’édition de juillet de pv magazine.
pv magazine : Qu’est-ce que le projet Cabriss et comment a-t-il vu le jour ?
David Pelletier et Luc Federzoni : Cabriss est l’acronyme de « Implementation of a CirculAr economy Based on Recycled, reused and recovered Indium, Silicon and Silver materials for photovoltaic and other applications ». Il a été financé par la Commission européenne dans le cadre du projet Horizon 2020 et dispose d’un budget global de 9,3 millions d’euros.
L’objectif était de développer une économie circulaire au sein de l’industrie photovoltaïque, particulièrement axée sur la fabrication de déchets et les modules en fin de vie. Il complète le projet Circusol, un autre programme financé par Horizon 2020, dont l’objectif est de formaliser les chaînes de valeur de la réutilisation, de la réparation et du reconditionnement dans l’industrie photovoltaïque. Il développe et démontre les potentiels de recyclage et de récupération ainsi que les business modèles de systèmes produits-services (product-service system, PSS) pour le secteur de l’énergie solaire.
Cabriss a démarré en 2015. Qu’a-t-on appris ?
Nous avons développé les technologies nécessaires pour séparer, purifier et recycler les déchets photovoltaïques provenant de la fabrication et des modules en fin de vie. Un accent particulier a été mis sur la délamination des modules en fin de vie, afin de minimiser la contamination croisée entre les matériaux des panneaux. Et aussi pour augmenter la valeur technique et économique de ces matériaux récupérés pour des applications de réutilisation.
Nous avons démontré que plus de 95 % des matériaux comme le silicium (Si), l’aluminium, l’argent, l’indium et l’EVA [éthylène-acétate de vinyle] des modules à base de silicium et à couche mince peuvent être récupérés. Ainsi, d’un point de vue technique, les principaux obstacles ont été surmontés. Néanmoins, il est difficile de trouver des business modèles pertinents, car les volumes de recyclage sont encore faibles. Cependant, ils sont en augmentation et deviendront intéressants à partir de 2025-2030.
Les films EVA ont généralement été la partie la plus difficile du recyclage des modules en raison des colles qu’elle contient. Comment avez-vous surmonté cette difficulté ?
Le film EVA peut rendre très complexe l’ouverture des panneaux photovoltaïques. Nous avons réussi cette étape, car l’un des partenaires de Cabriss a mis au point un procédé à base d’eau pour le délaminage des modules c-Si en fin de vie. Par conception, ce procédé permet de récupérer les cellules et l’EVA, qui est correctement détaché du verre. Une étape supplémentaire permet ensuite de détacher l’EVA des métaux, et assure ainsi la séparation et la récupération de tous les matériaux constituant un module.
L’un des objectifs de la fabrication circulaire est de réutiliser les matériaux récupérés des modules. Toutefois, la qualité ou la fiabilité des matériaux recyclés suscite des inquiétudes. Comment peut-on atténuer ces craintes ?
La démonstration des résultats est essentielle. Nous avons réussi à fabriquer à nouveau des cellules à partir de matériaux recyclés en suivant deux solutions : l’une standard et l’autre innovante. La voie standard consiste à fabriquer des cellules et des modules photovoltaïques en utilisant la technologie industrielle la plus courante : Al-BSF (aluminium Back Surface Field), en remplaçant la matière vierge par un matériau récupéré, c’est-à-dire en employant la matière première recyclée. Suivant cette voie, plusieurs cellules et modules ont été produits par les partenaires de Cabriss en utilisant du Si recyclé avec un rendement de 18,5 %, ce qui est très proche du rendement de 18,9 % de la cellule de référence. Certains résultats ont été publiés et présentés lors de la conférence 2017 EU PVSEC.
La solution innovante, quant à elle, nous a permis de développer des protocoles pour mesurer la qualité des matériaux recyclés et leur aptitude à la fabrication de nouvelles cellules solaires. Nous n’avons pas encore atteint un standard pour fabriquer à nouveau des cellules à partir de matériaux recyclés, mais nous avons précisément réussi à industrialiser la réutilisation de ces matériaux pour des applications d’autres secteurs.
Que faut-il faire pour atteindre le standard requis ?
Voici le défi, car nous n’avons pas de standard fixe. Le standard change rapidement, suivant l’évolution des technologies des cellules et des modules. Les spécifications du silicium, par exemple, ont beaucoup évolué entre les technologies Al-BSF (2017) et HJT [hétérojonction] (2020) qui émergent actuellement sur le marché. Une étape de purification supplémentaire serait nécessaire pour atteindre le standard souhaité. Cela serait possible si le prix de la matière première n’est pas trop bas. Ce dernier point est particulièrement vrai pour le silicium mais pas pour l’argent ou l’indium, où les standards peuvent être respectés en fonction du processus de recyclage.
Quelles sont les autres applications auxquelles vous faites référence ?
Il est important de comprendre qu’une économie circulaire ne signifie pas nécessairement une réutilisation complète dans l’industrie photovoltaïque. Le point crucial est de récupérer les matériaux et de les injecter à nouveau dans des industries spécifiques où les matières premières recyclées sont compatibles, afin de développer des synergies. Pour le silicium, quelques exemples peuvent être les batteries, les alliages à base de Si de grande valeur ou les applications de production d’hydrogène.
Comme l’a souligné Pierre Verlinden, directeur général du cabinet de conseil en énergie solaire Amrock, lors de la récente table ronde virtuelle de pv magazine, à 1 TW, l’industrie photovoltaïque représentera 94 % du marché actuel de l’argent. À ce titre, la réutilisation ou le remplacement de l’argent est particulièrement intéressant. L’argent peut-il être facilement extrait et recyclé pour de nouveaux modules solaires ?
Oui, l’argent peut être facilement extrait et recyclé des déchets PV lorsque la contamination croisée des matériaux est limitée pendant les étapes de délaminage et de récupération des cellules. Dans le projet Cabriss, nous avons développé de nouvelles encres et pâtes conductrices en utilisant de l’argent recyclé. Les premiers résultats ont été très positifs. Cependant, la validation est encore nécessaire pour industrialiser ces encres et, plus précisément, pour stabiliser le processus de formulation des encres et des pâtes, afin d’aboutir à des produits stables et reproductibles.
Plusieurs technologies de production innovantes et économes en ressources auraient été développées pour les wafers et les cellules solaires. Quelles sont-elles et à quel stade se trouvent-elles ?
En empruntant des voies innovantes, certains partenaires de Cabriss ont développé de nouvelles technologies utilisant principalement le Si-kerf [déchets de fabrication photovoltaïques] pour produire des substrats en Si à faible coût. Il s’agit notamment de lingots de Si fabriqués à partir de Si recyclé par un procédé de pressage à chaud. Les résultats de cette technologie sont excellents, car nous pouvons produire directement des substrats de taille standard. Une nouvelle technologie cellulaire a également été développée, qui utilise une combinaison de ce substrat peu coûteux et de couches épitaxiales très efficaces comme matière active. Il faut encore poursuivre la R&D dans ce domaine, mais la faisabilité a été démontrée pour les petites cellules solaires.
Comment abordez-vous la question de la longévité des panneaux photovoltaïques par rapport aux avancées technologiques, lors de la conception de systèmes de recyclage et de réutilisation ?
Bien sûr, la technologie PV a évolué au cours des dernières décennies, mais l’architecture des panneaux PV c-Si (qui occupent la plus grande part du marché) est restée la même : un sandwich de cellules de silicium avec du verre et une couche arrière en polymère. Ce point est important et facilite le développement des processus de recyclage. La composition des matériaux a évolué avec plus ou moins de silicium ou d’argent, et avec des couches arrières plus respectueuses de l’environnement qui ne contiennent pas de composés fluorés. Ainsi, les procédés développés au sein du projet Cabriss ont été conçus pour ouvrir les sandwiches et récupérer les matériaux. Pour éviter certains problèmes environnementaux, comme les émissions de fluor, nous avons favorisé les procédés non thermiques et non chimiques comme les procédés à base d’eau ou de lumière.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles à l’adoption de principes solaires circulaires et les possibilités offertes par vos recherches ?
L’un des principaux obstacles à la circularité est la fluctuation du coût des matières premières, qui peut exercer une forte pression sur la viabilité économique du processus de recyclage si l’on observe une grande volatilité.
Dans l’ensemble, nous sommes convaincus que la véritable possibilité de lancer le marché sera liée à la législation, c’est-à-dire qu’une écotaxe et une taxe sur le carbone doivent être rapidement introduites. Nous sommes également convaincus que la symbiose industrielle n’est pas encore étudiée et qu’elle constituera un moyen important de permettre aux matériaux recyclés de circuler pour d’autres applications. Par exemple, la symbiose entre l’industrie photovoltaïque et les dalles de télévision, où les défis techniques pour récupérer les matériaux sont très proches. Le projet Cabriss a identifié quelques applications, mais il reste encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine. On constate que la lente évolution de ce marché ne contribue pas à attirer les investisseurs industriels. Nous avons donc encore besoin d’un soutien public pour traverser la « Vallée de la mort ».
Trois actions concrètes doivent être prises aujourd’hui :
1 : D’autres secteurs pour lesquels les matériaux recyclés pourraient présenter un réel avantage doivent être étudiés, à savoir le verre, l’aluminium et le silicium. Une économie circulaire ne signifie pas une réutilisation complète dans l’industrie photovoltaïque, nous devons trouver d’autres industries et marchés où les matières premières recyclées pourraient être réutilisées.
2 : Le financement public doit être investi dans des lignes pilotes à grande échelle permettant la séparation des modules.
3 : L’écotaxe doit être modifiée pour atteindre rapidement la rentabilité des opérateurs de recyclage, ce qui permettra de déclencher une circulation rentable des matériaux.
Quelles sont les prochaines étapes pour Cabriss ?
Nous cherchons à intensifier l’écoconception de l’énergie solaire photovoltaïque pour anticiper, longtemps à l’avance, le reconditionnement ou le recyclage d’une nouvelle génération de modules. Développer des technologies pour concevoir la prochaine génération de cellules et de panneaux avec pour objectif de recycler 100 % des matériaux d’un module, y compris le verre, la couche arrière et les encapsulants EVA. Poursuivre les développements à haut niveau de préparation technologique. Consolider les processus industriels clés et les processus associés, contribuer à l’évolution de la législation DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques). Et développer une symbiose plus forte avec d’autres industries, par exemple, les dalles d’écrans de télévision.
Traduit par Julien Rouwens
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Entretien très intéressant !
L’écoconception pourrait devenir un nouveau critère du cahier des charges des AO CRE PV.
Je me demande comment les panneaux sont sélectionnés pour être aptes au recyclage : si les panneaux abîmés/cassés peuvent aussi être recyclés. Aussi, est-ce qu’on ne peut pas trouver une réutilisation d’un panneau en fin de vie, qui a certes un rendement plus faible mais qui continue quand même à produire de l’électricité ? Par exemple des contrats très bon marché avec les particuliers ?
Enfin, il me semble que la filière des panneaux recyclés ne pourra se développer qu’en partenariat avec les constructeurs de panneaux chinois qui ont un grand pouvoir sur le marché.