Solaire flottant – marché de niche ou véritable disruption ?

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La version originale de cet article est parue dans l’édition imprimée d’août 2019 de pv magazine, en anglais. 

Pourquoi voudriez-vous installer une centrale PV sur l’eau ? Il semble y avoir beaucoup de sites au sol ou en toiture pour cela. Alors, pourquoi s’embarrasser à vouloir faire cohabiter électricité et eau ? Telle fut ma réaction lorsque j’ai entendu parler pour la première fois du solaire flottant. Mais à y regarder de plus près, cela peut avoir beaucoup de sens. Par exemple, le Japon a été un pionnier dans le développement d’installations solaires de taille modeste sur l’eau, en raison du manque de terres disponibles dans un pays vallonné, où le PV est en concurrence avec l’agriculture, l’industrie et le logement. En 2018, la capacité cumulée de PV flottant a atteint la barre des 1 GW, avec de nouveaux développements surgissant dans le monde entier ! La taille des projets augmente rapidement, passant de quelques 100 kW il y a cinq ans à des plateformes de plusieurs mégawatts aujourd’hui. La Chine est le leader du marché, avec une attention particulière pour les développements sur les réservoirs de barrages électriques. En Europe, le développement le plus récent est apparu dans un autre pays densément peuplé : les Pays-Bas qui ont annoncé un potentiel de 8 GW simplement en installant des systèmes PV flottants le long des digues. Et certains promoteurs de systèmes PV flottants suggèrent maintenant que cette technologie est prête à prendre le large ! Mais lorsqu’il y a des opportunités, il y a des défis.

Développement

Les études environnementales sont déterminantes lors de la conception et du développement de projets flottants. Les exigences pour un bassin d’irrigation sur une propriété privée ou un bassin de traitement des eaux seront probablement très différentes de celles pour un bassin d’eau douce situé à proximité d’une réserve naturelle. Dans tous les cas, l’impact sur la qualité de l’eau du matériau des flotteurs doit être pris en compte. Aujourd’hui, on ignore encore si les panneaux ont un effet positif ou négatif sur la vie aquatique, en particulier lorsque l’on considère un large éventail d’écosystèmes. La surface de l’installation PV peut devenir un refuge pour les poissons si le site est construit sur un grand lac. Mais l’ombre peut également avoir un impact négatif sur la flore en réduisant la photosynthèse sous les panneaux. Des recherches sur ces sujets sont en cours dans différentes régions. Pour combler l’absence de normes, les Pays-Bas ont récemment publié un guide sur l’examen des incidences sur la qualité de l’eau et l’écosystème. Cependant, dans un avenir proche, les études environnementales représenteront toujours un poste important pour un projet solaire flottant.

Au-delà de la production d’électricité, le PV flottant peut présenter des avantages supplémentaires tels que la réduction de l’évaporation sur les réservoirs d’eau potable, la protection de la vie aquatique dans les zones de pêche, la stabilisation des régions dotées de réseaux faibles ou la complémentarité de la génération solaire avec des centrales hydroélectriques. Ceux-ci peuvent être pris en compte dans l’évaluation des risques environnementaux pour aider à faciliter le processus d’autorisation.

Bilan énergétique

L’évaluation de la production d’énergie d’un projet flottant est sujette à plusieurs inconnues autour des données d’irradiation, des effets de refroidissement et des mouvements des modules sur l’eau.

La précision des données satellitaires est moins bonne au-dessus des étendues d’eau que sur la terre ferme à cause de microclimats liés aux masses d’eau. Dans certaines régions, les ressources solaires sont plus élevées au-dessus ou près de la mer, en raison de la formation de nuages au-dessus des terres. Aux Pays-Bas, par exemple, l’irradiation est 4 à 8% plus élevée en Mer du Nord que dans les terres.

L’albedo des surfaces aquatiques est en moyenne plus faible que sur terre. Cependant, aux premières et dernières heures de la journée, lorsque le soleil est rasant, l’albedo augmente sensiblement. Ce qui peut permettre de générer plus d’électricité à des heures où elle se vendra mieux sur le marché. De ce fait, le recours aux panneaux bifaciaux pour des projets flottants pourrait être intéressant.

De nombreux travaux de recherche font état d’un meilleur refroidissement des panneaux sur l’eau par rapport aux installations au sol, allant de 2°C à 12°C. Selon le Solar Energy Research Institute of Singapore (SERIS), l’efficacité des panneaux flottants est jusqu’à 16% supérieure, car l’effet de refroidissement de l’eau réduit les pertes thermiques et prolonge leur durée de vie. Cependant, l’estimation de tels effets sur le rendement n’est pas simple à effectuer et ces avantages sont rarement pris en compte lors du financement des projets.

Les vagues peuvent créer des différences d’orientation et d’inclinaison entre les modules qui conduisent à plus de pertes d’efficacité. Aucun modèle de simulation n’est actuellement en mesure d’évaluer précisément ce phénomène, ce qui peut impliquer l’adoption d’hypothèses conservatrices dans les modèles financiers.

Design et technologie

En fonction des conditions du site, la conception d’un système PV flottant peut être soumise à des contraintes strictes. Le dimensionnement mécanique doit prendre en compte les impacts des vagues et des courants sous-marins. L’ancrage et l’amarrage sont des sujets nouveaux pour la plupart des acteurs du solaire. Dans tous les cas, l’équipement doit résister durablement à la forte humidité et à l’atmosphère potentiellement saline.

Jusqu’à présent, les systèmes avec un flotteur par panneau constituaient la solution dominante, mais les grandes plateformes, prenant en charge plusieurs panneaux  à la fois, peuvent être plus adaptées aux trackers ou aux panneaux bifaciaux. Le câblage et la mise à la terre des installations requièrent un soin particulier. Avec des hypothèses de plus en plus ambitieuses en termes de durée de vie et de coût opérationnel dans les modèles financiers, assurer une conception de système durable devrait être une évidence pour tout développement de projet flottant.

Construction

La phase de construction soulève de multiples questions, notamment celles relatives à la logistique du projet. L’accès au site et à l’eau ainsi que l’emplacement des stocks de pièces de rechange sont des questions clés auxquelles il faut répondre au début de la phase de développement. L’installation des ancrages nécessite un équipement et des équipes spécialisées. Il en va de même pour l’installation des câbles, où de petites erreurs peuvent facilement conduire à une dégradation accélérée et à une augmentation des coûts, deux risques clés qui seront examinés de près par les investisseurs et les prêteurs.

O & M

La maintenance de base n’est pas différente pour une installation PV flottante. Néanmoins, une formation spécifique est requise pour les opérateurs et une sélection minutieuse du matériel est importante. Du matériel supplémentaire, tel que les bateaux nécessaires pour accéder aux champs PV, implique des coûts supplémentaires. Une maintenance préventive judicieuse, avec un soin particulier pour la détection de la corrosion et la dégradation de l’isolation des câbles, devrait éviter les pannes majeures et les coûts de réparation.

Alors que les plateformes PV flottantes peuvent, dans certains cas, offrir un refuge parfait aux oiseaux, leurs déjections peuvent accroître les pertes liées à l’encrassement. Dans tous les cas, la fréquence de nettoyage ainsi que la gestion des eaux usées doivent être adaptées à la situation de chaque projet.

Les développeurs préfèrent intrinsèquement se concentrer sur les détails de la phase initiale du cycle de vie. Mais l’hypothèse selon laquelle les coûts de démantèlement seront couverts par la valeur résiduelle du système – comme c’est souvent le cas pour les centrales au sol – ne sera pas forcément vraie pour les projets flottants.

Perspectives de bancabilité

Pour l’instant, avec moins de 0,2 % du marché PV total en 2018, le PV flottant reste un marché de niche intéressant. Le manque de retour d’expérience peut amener les prêteurs à faire pression pour davantage de garanties. Cependant, alors que les prix des systèmes pour les systèmes flottants sont actuellement supérieurs d’environ 10 à 20%, avec des coûts d’assurance légèrement plus élevés, ils peuvent être compensés par des ratios de performance supérieurs de 5 à10 %, associés au potentiel de loyers inférieurs à ceux payés pour des centrales aux sol. Et si le PV offshore peut prouver qu’il est compétitif, il n’y aura, en théorie, plus aucune limite au développement du solaire flottant. Est-ce que les acteurs français, à l’image des pionniers Ciel&Terre, sauront se positionner pour profiter de ce marché à forte valeur ajoutée ?

 

À propos de l’auteur

Nicolas Chouleur est partenaire chez Everoze, un cabinet de conseil technique et commercial, spécialisé dans les énergies renouvelables, le stockage et la flexibilité. Depuis 2006, il travaille à la conception, à l’ingénierie et à l’exploitation de toutes sortes de systèmes, des toitures résidentielles aux grandes centrales au sol, dans le monde entier.

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